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fession

d’amitié une judicieuse réclame. Cela valait mieux qu’une préface, et c’était plus rare. Mademoiselle de Gournay s’installait ainsi et pour toute la vie à l’ombre du grand nom qu’elle invoquait. Et cette ombre lui fut propice. C’est à Montaigne que Marie de Jars doit sa petite immortalité. Marie entretint avec son père d’alliance une correspondance dont rien ne nous a été révélé jusqu’ici. Secouera-t-on un jour la poussière qui la couvre sans doute dans un recoin ignoré ?

Non contente d’avoir en France un correspondant illustre, Mademoiselle de Gournay voulut en avoir un autre à l’étranger. Son choix alla à Juste Lipse, célèbre alors partout où le latin était en honneur. Elle s’adressa à lui pour lui dire sa fierté d’être son émule dans l’admiration des Essais. Elle sut s’y prendre ; car l’humaniste, dont les lettres avaient leur prix et qui ne gaspillait pas sa prose, lui répondit. Cette lettre fut utile à la réputation croissante de la demoiselle. L’éminent professeur de Louvain commence par l’étonnement et finit par lui offrir une admirative amitié.

« Quelle qualification dois-je vous donner, Mademoiselle, dit-il, lorsque vous m’écrivez de la sorte ? J’ai peine à en croire ce que je lis de votre main. Se peut-il que tant de pénétration et un si solide jugement, pour ne rien dire de tant d’esprit et de savoir, se montrent dans un sexe différent du nôtre et se rencontrent dans le siècle où nous vivons ? Vous m’avez causé, Mademoiselle, une surprise mêlée d’embarras,