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d’emprunt, une personnalité forte, elle s’appuyait sur les Essais et se faisait de Montaigne un directeur, voire presqu’un confesseur, avant même de le connaître. Elle était décidée à lui écrire pour lui dire son attachement et sa filiale gratitude lorsqu’un faux avis de sa mort lui parvint. Cruellement surprise, elle pleura la gloire, la félicité et l’espérance d’enrichissement de son âme qui, par cette perte, étaient fauchées en herbe. Tout à coup, comme elle était à Paris avec sa mère, elle apprit que Montaigne lui-même s’y trouvait. Elle l’envoya saluer en termes si expressifs et si peu ordinaires que dès le lendemain le philosophe vint la voir pour l’en remercier. Fut-il flatté par cet enthousiasme juvénile ? Se méprit-il sur la valeur intellectuelle de cette femme savante qui l’égalait aux Dieux en un style ou il reconnaissait un peu le sien ? Toujours est-il que dans cette entrevue il la jugea capable d’amitié et lui « presenta l’alliance de pere à fille ».

« Ce qu’elle receut, nous dit Mademoiselle de Gournay elle-même, avec tant plus d’aplaudissement, de ce qu’elle admira la sympathie fatale du Genie de luy et d’elle. » Plus tard, revenant sur cette circonstance capitale de sa vie, elle ajoute : « Je me pare du beau titre de ceste alliance, puisque je n’ay point d’autre ornement : et n’ay pas tort de ne vouloir appeller que du nom paternel, celuy duquel tout ce que je puis avoir de bon en l’ame est issu. L’autre qui me mit au monde, et que mon desastre m’arracha dès l’enfance, tres-bon pere, orné de vertus, et habile homme, auroit moins de jalousie de se voir