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triste d’avoir à le reconnaître, le critique, dans l’appréciation des œuvres de l’art, consulte avant tout les intérêts de son amour-propre. Sans qu’il s’en rende compte, il éprouve le besoin de se sentir supérieur à celui qu’il va juger et il lui semble qu’il constate mieux cette supériorité en rabaissant ce dernier. De là vient que le critique considère tout auteur comme un rival et presque comme un ennemi. Il en est tout autrement de Vinet. Il a pris à la lettre et il a réalisé dans toute son étendue le beau précepte de l’apôtre : « Regardez les autres, par humilité, comme supérieurs à vous-mêmes. » Ajoutez à cette humilité une chanté non moins sincère, et vous aurez le secret de la critique telle que la pratiquait Vinet. Elle n’est pas impartiale, sans doute, de cette impartialité absolue à laquelle lui-même ne croyait point ; mais tandis que l’indulgence de beaucoup d’autres n’est que de la partialité, celle de Vinet provenait d’une sympathie véritable pour ceux dans le commerce desquels ses lectures l’introduisaient. Il n’avait point devant lui des ouvrages et des auteurs, mais des hommes. Là où la plupart, ne voient que gibier de feuilleton, il envisageait des esprits à persuader. Les défauts de jugement qu’on lui a reprochés émanaient eux-mêmes de cette source sacrée. Il respectait ceux à qui il avait affaire, et il avait pour eux des égards qui pouvaient donner le change sur la pureté de son sentiment littéraire. Dans sa candeur, il prenait tout au sérieux, il discutait avec tous, il analysait consciencieusement des œuvres médiocres, il consacrait plusieurs articles à telle épopée morte en