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LITTÉRATURE CONTEMPORAINE

reproduit dans sa vérité et sa complexité. « Quand il cesse d’être purement esthétique, quand il veut prouver au lieu de peindre, il devient le plus déplaisant de tous les enseignements. » Et, dans une remarquable lettre écrite au peintre Burne-Jones : « N’êtes-vous pas de mon avis que, de part et d’autre, on écrit beaucoup d’inutile verbiage sur le but de l’art ? Un esprit malpropre fera de l’art malpropre, qu’il ait en vue l’art seul ou autre chose, et un esprit médiocre fera de l’art médiocre. Après quoi, il est certain que l’œuvre produira nécessairement sur les autres un effet conforme à la noblesse ou à la bassesse d’âme de l’artiste. »

Ce n’est pas avec sa morale que George Eliot écrit ses romans, c’est avec sa psychologie. Là est le secret de sa puissance. Cette femme, qui avait vécu d’une vie exemplaire et dans un monde étroit, cette femme avait tout pénétré, tout senti. Habituée à lire dans son propre cœur et douée de ce don d’observation qui aide à lire dans celui des autres, rien ne l’étonné. Elle est familiarisée avec les enchevêtrements les plus secrets et les plus subtils des motifs. Elle sait « qu’une nature incapable, par toute sa constitution morale, de commettre le crime, peut néanmoins éprouver des mouvements criminels ». Je trouve sous sa plume ce mot saisissant : « Dans la confiance la plus absolue du mari même et de la femme, il y a toujours le résidu secret, l’arrière-fond non soupçonné, peut-être de ce qu’il y a de plus mauvais, peut-être au contraire de ce qu’il y a de plus élevé et de plus désintéressé. « George Eliot a la clairvoyance qui devine