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ETUDES CRITIQUES DE LITTÉRATURE

ment rien laissé à faire après lai. On ne saurait mettre dans un jugement plus de noble humanité, plus de raison et plus de grâce.

J’ai commencé, dit-il, cette étude sur Sterne avec une indifférence parfaite pour sa personne, et plus d’antipathie que d’admiration pour ses œuvres. Sa vie me paraissait amusante à écrire, et je me promettais de faire de ses ouvrages une critique d’autant plus vive qu’elle était entreprise avec plus d’humeur.

A mesure que j’ai avancé dans mon étude, je me suis senti plus d’intérêt pour l’homme et plus de goût pour l’écrivain. J’ai compris peu à peu que la grande réputation littéraire de Sterne n’avait rien d’injuste ni d’outré, et que le monde avait en ceci raison comme toujours. J’ai bientôt vu aussi que la mauvaise réputation morale de Sterne n’était pas toute méritée, et qu’en cela le monde se montrait, comme toujours, plus ami de la médisance que de la vérité. Sterne n’était ni méchant ni dur, ni insensible, ni plus égoïste que la plupart des hommes. Ses défauts, ses vices, n’ont rien d’inhumain. Deux mots les résument : il était faible et il était léger. Entendez ces mots dans la signification la plus étendue ; dites que le caractère ecclésiastique de Sterne est une circonstance extrêmement aggravante ; indignez —vous, cela est juste. La seule chose dont on vous prie, c’est de ne pas déployer contre ce pécheur plus de courroux que vous n’en sentez réellement. Les fautes que font commettre un cœur trop faible, une têle trop légère, ne sont-elles pas celles que l’humanité a le moins de peine à pardonner ?

Une idée noble et consolante se trouve au fond de toutes les œuvres de Sterne : il croit que l’homme est capable de bonté et capable aussi de bonheur. Voilà sa philosophie. C’est l’antipode de celle de Swift, de Pascal, de la Rochefoucauld. Plutôt que de comparer Sterne au terrible auteur de Gulliver j’aime