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parle beaucoup de l’ignorance et de l’incapacité comme devant être refoulées et tenues à l’écart. Là n’est pas le danger réel ; il est bien plutôt dans la capacité elle-même et le talent détournés de leur véritable but, dans un faux emploi des plus rares et des plus belles facultés. Si le savoir-faire venait à remplacer le savoir ; si l’habileté, la sagacité, la pénétration, l’activité, la persévérance, l’opiniâtreté, au lieu d’être consacrées à dévoiler les secrets de la nature et les mystères de l’âme humaine, ne servaient plus qu’à nouer et à poursuivre une intrigue, à se faire et à conserver une position sociale ou scientifique, plutôt encore qu’à marquer sa place dans la science par de sérieux et durables travaux, à organiser une coterie plutôt qu’à créer un système, à exploiter les hommes plutôt qu’à les éclairer, à enrôler la jeunesse sous un drapeau de secte ou de parti, à stimuler son ambition précoce par l’appât des places et des honneurs, plutôt qu’à lui inspirer le goût pur et désintéressé de la science et à cultiver dans son cœur les généreux sentiments et les nobles passions, alors, il faudrait retourner la proposition du philosophe allemand et dire que le sens moral affaibli entraînerait inévitablement avec lui la déchéance du savoir et du talent, et que, manquant à leur destination morale, les corps savants manqueraient aussi à leur destination scientifique. Ces craintes sont exagérées, sans doute, mais Dieu veuille qu’elles soient sans nul fondement ; que nous