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sentés, il est vrai de dire que la représentation doit avoir de la vérité et de la profondeur, ce qui est rendu complètement impossible par la raideur des formes conventionnelles. Celles-ci doivent donc être dépouillées. Cependant, on a beaucoup trop restreint la condition du naturel, dans le costume et les manières des personnages, à force de vouloir reproduire les caractères distinctifs. Dans les meilleurs cas, on a saisi le naïf et le simple, le plus souvent le commun et le trivial.

Le naturel ne se juge pas ordinairement d’après l’humanité en général, telle qu’elle s’est développée dans les différents climats et aux diverses époques, mais d’après la nationalité exclusive dans une époque dont le goût est perverti, où souvent l’opposé du naturel a pu devenir naturel. L’avare, trouve la libéralité, le lâche, la bravoure, peu naturelle. Et ainsi, quand une nation manque d’esprit poétique, tout ce qui est vraiment poétique peut lui paraître contraire à la nature. Les mœurs françaises en sont un exemple. Bien que les Français attachent une très-grande importance au principe de la forme artistique, ils ont toujours à la bouche celui du naturel. Une idée, pour leur paraître naturelle, doit offrir la clarté et la précision, mais aussi être peu substantielle ; ils peuvent ainsi trouver naturelle, dans leurs tragédies, la froide rhétorique raisonneuse des passions, pourvu qu’elle soit sans couleur et sans imagination. Dans le cas contraire, le style, malgré la plus grande vérité, peut leur paraître une emphatique déclamation.

Par la plus grossière confusion de toutes les idées, on a pris ce qui est la forme, le moyen de la représentation, pour son fond même ; on a, par exemple, regardé comme contraire au naturel que les personnages, dans le drame, s’expriment en vers. Comme si le poète avait eu l’idée de mettre sur la scène des poètes constamment improvisateurs !