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est le chant des oiseaux ? Les Chinois, en effet, racontent qu’un empereur ayant entendu un concert d’oiseaux, inventa le premier concert humain, d’après ce modèle. Mais on ne pourra toujours pas ainsi faire comprendre la nécessité de la cadence et du rhytme régulier, ni son origine. Il en est de même de la mesure des vers dans la poésie ; c’est quelque chose d’entièrement idéal, et qui n’a nullement son principe dans la nature. On arrive ainsi à regarder ces choses comme des ornements étrangers ; et ce sur quoi, depuis un temps immémorial, les. hommes se sont accordés sur tous les points du globe, on le déclare accidentel et peu important, ce qui fait qu’ensuite on tire de là les règles les plus fausses.

Quelques uns, cependant, ont remarqué que le principe précédent est trop indéterminé ; ils ont craint que, si l’on accordait à l’art une telle latitude, il ne se perdit dans l’insignifiant et le mauvais goût. Ils ont dit, par conséquent, que l’art doit imiter la belle nature, ou la nature en beau. C’est ce qui s’appelle renvoyer de Caïphe à Pilate. En effet, de deux choses l’une : ou l’on imite la nature telle qu’elle s’offre à nous, et alors souvent elle peut ne pas nous paraître belle ; ou on la représente toujours belle, et ce n’est plus imiter. Pourquoi ne pas dire plutôt que l’art doit représenter le beau, et ne pas laisser tout-à-fait de côté la nature. On serait ainsi débarrassé d’un grand souci : il n’est plus, dès-lors, nécessaire que les représentations de l’art se rapportent à la nature, ce qui n’est pas possible, sans lui faire ouvertement violence.

La meilleure preuve d’une imitation fidèle, c’est que l’on puisse prendre la représentation de l’objet pour l’objet lui-même. Aussi, la conséquence naturelle du principe de l’imitation grossièrement compris, est de donner l’illusion dans l’art pour son but, et de regarder comme défectueux tout ce qui la détruit.