Page:Schœlcher - Le procès de Marie-Galante, 1851.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une population qui jouit depuis longues années de la liberté civile, que trente ans de gouvernement libre auraient dû former à l’exercice des droits ; et l’on conserverait toutes les prérogatives de l’électeur et du citoyen à des multitudes parmi lesquelles on ne trouverait peut-être pas un individu sur mille qui sache seulement lire les noms des candidats inscrits sur le bulletin que les meneurs imposent à son ignorante crédulité ! ce serait insensé. Entre l’homme libre, jouissant de tous ses droits civils, comme il est juste que soit le noir émancipé, et le citoyen armé de toutes les prérogatives de la puissance politique, il y a une situation intermédiaire où il eût été sage d’arrêter pendant quelque temps les nouveaux affranchis, où les malheurs elles périls qui menacent la France d’outre-mer nous enseignent qu’il faut absolument ramener la population noire, si l’on veut qu’elle apprenne à exercer un jour avec quelque discernement les pouvoirs politiques qu’on lui a conférés dans une heure d’aveuglement, et qui ne sont aujourd’hui dans ses mains qu’une arme dangereuse pour elle-même aussi bien que pour la race blanche. Telle est la tâche qui pèse aujourd’hui sur le gouvernement, et à laquelle nous le supplions de ne pas faillir, dans l’intérêt des principes sociaux, dans l’intérêt de la liberté sérieuse, dans l’intérêt de toutes ces familles qui semblent aujourd’hui dévouées au sort le plus affreux, dans l’intérêt de l’honneur national qui doit se rappeler toujours les hontes de Saint-Domingue et faire tous les sacrifices pour en conjurer le retour. »


Le National répliqua le 25 juillet 1850 :

« Le rédacteur colonial des Débats cherche à revenir sur ses paroles, et prétend qu’en demandant une situation intermédiaire il n’a eu en vue que la politique. Soit ! Bien qu’un ensemble de mesures embrassant le travail, l’industrie et l’instruction ait pour nous un tout autre caractère, nous acceptons l’explication des Débats sur ce point, et nous admettons que les droits civils seraient respectés. Mais, même en ramenant la question sur le terrain purement politique, nous en appelons à tous les gens de bonne foi : est-il prudent de scinder la population coloniale en deux parties, et de perpétuer l’antagonisme par la loi électorale ? Or, pourra-t-il en être autrement, si les nouveaux citoyens sont systématiquement exclus ? Dans des pays où ce qu’on nomme la population « européenne » — par esprit de fusion sans doute — ne forme pas le dixième de la totalité des habitants, fermer l’urne du scrutin aux noirs et aux mulâtres, est-ce donc autre chose que l’oppression de la majorité par la minorité, et le rétablissement de la plus absurde suprématie, celle de la peau ? Cependant, c’est en propo-