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cette conduite d’illégale et d’arbitraire. Quelles expressions emploiera-t-elle pour caractériser l’arrêt que nous portons, M. le ministre de la justice, à votre connaissance ? Si encore l’illégalité de la mesure pouvait se protéger d’un sentiment honnête, d’une raison plausible et avouable ; mais, en vérité, peut-on sonder sans effroi la portée morale et politique d’un pareil acte ?

« Nous ne voulons rien dire qui soulève prématurément des questions brûlantes ; nous ne voulons pas, quant à présent, faire pénétrer la lumière à travers les sourdes intrigues dans lesquelles la justice se trouve compromise ; mais enfin, pour tout esprit sérieux et dégagé de préventions, pour toute conscience honnête, nous le demandons avec une loyale modération, les conséquences immédiates ou prochaines de l’arrêté surpris à la loyauté de M. l’amiral Bruat ne sont-elles pas celles-ci :

« Impuissance de M. Garnier, due aux circonstances qui accompagnent sa nomination, — si impartial, si ferme que puisse être ce magistrat ;

« Danger d’une condamnation aveugle et draconienne contre des innocents ;

« Absence complète d’autorité pour l’arrêt qui frapperait des coupables ;

« Déconsidération et discrédit de la magistrature rendue stérile ;

« Découragement des gens de cœur, exposés à être jetés en victimes expiatoires à tel ou tel parti suivant les oscillations de la politique ;

« Débordement de toutes les passions mauvaises sur nos établissements coloniaux.

« Nous n’exagérons rien, M. le ministre ; l’abolition de l’esclavage a changé toutes les conditions économiques des Antilles. Au milieu de ces désespoirs causés par une domination perdue, de ces enivrements, conséquence d’une existence nouvelle et inespérée, de ces haines enfantées par le souvenir des rapports qui ont existé entre les anciens esclaves et les anciens maîtres, l’ordre judiciaire était peut-être le seul assez fort pour, à l’aide d’une sincère impartialité, éviter une conflagration générale ; — et on a eu la