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labeur, il ne trouvera point dans les nécessités de la vie, l’excitation nécessaire pour vaincre sa paresse naturelle. Mais alors où est ce bénéfice de l’esclavage dont vous parlez tant ? De votre propre aveu, il se réduit à rien, et nous nous assurons que la liberté nourrira l’émancipé, au moins aussi bien que la servitude nourrit l’esclave. — Que de choses d’ailleurs n’aurions-nous pas à dire sur cette alimentation, dont la garantie vous semble une ample compensation à la perte de la liberté ? L’esclave devant être toujours passif, il est certain que sa nourriture sur les habitations où l’on donne l’ordinaire est laissée à votre discrétion, et qu’il se doit contenter de ce qu’on lui accorde. Dès-lors, n’avons-nous pas droit de supposer pour lui de cruelles privations chez les propriétaires mauvais ou gênés. Nous nous souvenons des deux femmes de la Désirade. « J’ai vu des habitans, dit Léonard, le poète de la Guadeloupe, acheter des barils de harengs gâtés pour leurs nègres. Ils aimaient mieux les empoisonner à peu de frais que de payer plus cher une nourriture salubre, tant l’avarice connaît mal ses intérêts. » Ce que des maîtres ont pu faire il y a un demi-siècle, d’autres le peuvent encore. En admettant ces horribles calculs comme extrêmement rares, il arrive néanmoins que des ateliers souffrent malgré même votre volonté. Vous achetez comme de première qualité deux, trois tonnes de morue. On vous trompe ; la morue sans être gâtée est échauffée, rouge, inférieure ; le marchand reçoit de vifs reproches, vous le quittez, vous êtes très-chagrin, mais vous ne pouvez tout perdre, ou bien vos géreurs ne veulent point s’exposer à de justes réprimandes pour une double dépense, et jusqu’à ce que la provision soit épuisée, le pauvre noir pâtit.

Vous dites encore : on ne sait point aux colonies ce que c’est que la mendicité. Mais on ne voit pas non plus chez nous les moutons mendier ; et, en tous cas, il n’est pas moins vrai que vos esclaves reçoivent de la main qui veut leur donner, et quelquefois la provoquent. Vites-vous jamais cela dans les usines de Saint-Étienne ou de Birmingham ? Nous savons d’ailleurs