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CHAPITRE V.

l’esclave ; le prolétaire.

Les garanties de la vie matérielle ne suffisent pas à l’homme. — L’esclave n’est pas soumis à un pouvoir public. — Il ne peut se défendre contre l’arbitraire. De fait, la loi n’existe pas pour lui. — Ses enfans appartiennent à son maître. — Il n’a pas d’état civil. — La loi le déclare chose mobilière. — Il est vendu aux enchères. — Une vente d’esclaves. — Le prolétaire. — Un mot du peuple sur l’esclavage.


Mais écartons ces horreurs, supposons, qu’en raison de leur caractère exceptionnel elles ne soient pas suffisantes pour nécessiter la transformation d’un état social où elles peuvent se reproduire chaque jour : supposons même qu’elles soient impossibles, et que tous les esclaves jouissent du bien-être matériel dont nous avons reconnu l’existence pour la majorité. Cela supposé, les esclaves sont-ils aussi malheureux moralement que nous le croyons, nous, surtout avec nos idées ? Non, ils sont misérables, mais pas malheureux ; ils s’ignorent eux-mêmes ; l’abrutissement de la masse l’empêche d’apprécier sa misère dégradée, ils ne souffrent véritablement pas. Élevés dans leur enfance, nourris dans leur vieillesse, soignés dans leurs maladies, on prévoit tout pour eux ; et en échange de cette sécurité de l’existence entière, ils n’ont à donner que neuf ou dix heures de travail par jour. Ils sont un peu moins bien traités que les animaux du Jardin des Plantes qui n’ont rien à donner du tout ; mais ils sont assurément mieux approvisionnés, et plus tranquilles que les ouvriers européens. C’est là le grand argument des créoles, ils appuient toujours sur ce point, qu’il n’y a pas en France un paysan aussi heureux que leurs esclaves. Parce que le prolétaire, dans le souverain exercice de son libre arbitre, dans la toute puissance de son individualisme, sous la glorieuse responsabilité de tous ses actes,