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rieures, presque toujours aussi ignorans que leurs nègres, résistent moins à l’action démoralisante de ce pouvoir absolu, qui leur est donné sur des esclaves mâles ou femelles. L’autorité grossière, pour ne pas dire barbare, qu’ils exercent, est le spectacle moral le plus dégoûtant que j’aie vu. » Le fait est que, la dépravation à laquelle peuvent arriver quelques-uns d’entre eux, dépasse tout ce qu’il est possible de concevoir. Un de nos amis qui habite la Guyane anglaise, nous a raconté le trait suivant : Un esclave apporte une lettre au directeur d’une plantation, celui-ci, mécontent du contenu de la lettre, ordonne de saisir le messager, le fait fouetter et le renvoie en disant : « Va porter cette réponse à ton maître ! » Nous pourrions citer bien d’autres faits, car l’histoire de l’esclavage est toute gonflée de sang et de cruautés ; n’en prenons qu’un seul pour finir.

Pendant notre séjour au Moule (Guadeloupe), le juge-de-paix reçut la lettre suivante, dont une personne digne de foi nous a procuré copie. Nous la transcrivons dans tout son cynisme.


« Chigny, le 6 novembre 1840.
« Monsieur le juge-de-paix,

« Il y a quatre ans qu’un de mes nègres a été arrêté sur l’habitation Acoma. Ledit nègre a été mutilé de coups, et M. Éloy l’a forcé de manger de la m. Six mois après j’ai perdu le nègre. Dans la nuit d’hier soir un de mes nègres encore, nommé Saint-Jean, a été saisi par les nègres Jean, Germain et Alexis, esclaves de l’habitation Acoma ; ledit Saint-Jean a reçu plusieurs coups de bâton sur la poitrine et sur la tête, par les nègres de l’Acoma désignés plus haut. Après avoir satisfait leur férocité, ils ont conduit Saint-Jean au géreur de l’habitation Acoma, qui l’a fait mettre au cachot ; et ce matin avant de me l’envoyer, ce géreur a eu le soin de lui faire manger une grande quantité de m. Comme je suis persuadé que ces deux actes sont non-seulement arbitraires, mais encore ré-