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présidée par M. Gilbert des Marais, pour avoir excédé de coups un nègre, fut acquitté, parce qu’on avait établi aux débats qu’il était propriétaire d’un cinquième de l’habitation à laquelle appartenait le malheureux esclave.

Les noirs sont, en fait, livrés tout entiers à leurs maîtres sans aucun moyen réel de défense. Aussi chaque plantation, quoique soumises toutes à un régime uniforme, par leurs bases légales, a des usages, des habitudes, une organisation particulière, qui tiennent à des traditions locales ou à la volonté du planteur. Celui-ci est seul arbitre privativement à la loi des actes de son serviteur. Il le juge, et condamne souverainement ; seigneur féodal, il administre la justice sur ses terres, et ses arrêts demeurent sans appel. Refus de travail, bris de porte, vol, tout est de son ressort, et nous verrons dans le cours de cet ouvrage qu’une tentative de viol ne dépasse point son tribunal. Véritable monstre en politique, il a une puissance plus étendue que la société elle-même, entourée de toutes ses garanties, ne s’en est réservée contre les coupables. Le code, dans ses punitions pour telle faute ou tel crime, a des bornes fixées d’avance et infranchissables, le maître, pour les fautes de ses esclaves, n’en connaît d’autres que son bon plaisir ! « Il ne relève que de Dieu et de sa conscience, » M. Lignières l’a dit dans sa plaidoirie pour Amé Noël. C’est la doctrine des colons. Elle est puisée dans l’esprit de leur législation, qui ne les arrête qu’aux sévices et au meurtre. Petits rois, ils sont devenus comme les grands rois, la puissance sans la tyrannie est pour eux un bien sans valeur. L’usage du despotisme a tellement gâté ces omnipotens, qu’ils ont perdu le sens du juste et de l’injuste, de l’humain ou de l’inhumain. Et si cela se produit parmi des hommes éclairés qui ont appris à se modérer, à dominer leurs passions ; quels pires effets l’esclavage n’aura-t-il pas chez ceux dont l’éducation n’a pas corrigé les instincts du despotisme, ni amélioré les sentimens ! Mistress Trollope l’a dit dans son ouvrage sur l’Amérique, car mistress Trollope elle-même est contre la servitude. « Les gens des classes infé-