Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tortionnaires pour y détenir la victime de leur cruauté et plus souvent de leurs terreurs ? La cage de quatre pieds de haut Lucile était enferrée, n’est point une exception à la Guadeloupe. L’autorité administrative chargée naturellement de protéger les esclaves, puisque les esclaves sont faibles, les gouverneurs, les chefs militaires, les directeurs de l’intérieur, les magistrats, en voient partout de semblables lorsqu’ils se promènent à la campagne, et n’ont jamais fait une observation ; plus d’un homme du roi même, juges, procureurs et substituts, propriétaires aux Antilles, ont chez eux de ces tumulus, que M. Lignières, créole, habitant, appela dans sa belle plaidoirie pour Amé Noël, « des tombes à l’usage des vivans. »

On n’a rien tenté pour prévenir le mal, on ne le punit pas lorsqu’il s’accomplit. La loi est muette ou d’une inqualifiable indulgence. Les plus grands excès du maître, dans le Code noir, se soldent avec un peu d’or, et Mahaudière eût-il été déclaré coupable, il n’était passible que d’une amende de 2,000 francs, prononcée par l’ordonnance réformatrice du 15 octobre 1786. Si bien que la condamnation eut été plus scandaleuse encore que l’acquittement ! Quel infernal cercle vicieux ! Que peut être, nous le demandons, une société abandonnée de la sorte à l’arbitraire de quelques-uns ?

Il existe bien quelques lois, quelques ordonnances protectrices des esclaves, mais elles sont presqu’inapplicables, et encore que d’oublis n’a-t-on pas à reprocher au législateur ! N’en citons qu’un exemple : Lorsqu’un maître laisse dix enfans, chacun de ces héritiers a-t-il le droit de correction sur les nègres qui font partie de l’héritage paternel ? Les cohéritiers peuvent-ils, chacun à leur tour, les commander et les fouetter ? Tous les dix ont-ils seulement un dixième de ce droit, ou bien l’ont-ils les uns et les autres en totalité ? Aucun article de la loi n’a réglé ce point essentiel. La jurisprudence coloniale s’est chargée d’y suppléer à sa manière. Un habitant de Marie-Galante, cité devant la Cour royale de la Guadeloupe, alors