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claves deviennent des tyrans, des hommes impitoyables, et c’est dans la moralité des actes commis par les meilleurs d’entre eux qu’est la plus vive condamnation du système colonial. À considérer l’excellente renommée des Mahaudière, des Amé Noël, des Brafin, à considérer que ce sont des maîtres distingués par leur bienveillance, à considérer qu’ils n’avaient pas cru mal faire, comment ne pas arriver à cette conviction : qu’il faut à un maître plus de modération, plus de vertu que la nature n’en a départi à l’homme pour ne point abuser de ses droits. Quant à moi, la puissance illimitée me paraît si dangereuse qu’elle m’épouvante, et tout abolitioniste que je suis, malgré la responsabilité que m’imposeraient mes antécédens, je ne consentirais pour rien au monde à conduire des esclaves. Je craindrais de ne pas échapper à la fièvre de barbarie dont je vois saisis les meilleurs. Ayons une sainte peur du pouvoir absolu.

On ne peut être étonné que d’une chose, c’est qu’avec la toute-puissance dévolue au planteur sur ses domaines, il ne se commette pas plus de crimes de cette nature, que ceux dont le récit échappé de nos îles vient, en traversant les mers, épouvanter le monde.

Puisque la loi accordait au maître la faculté de punir l’esclave, elle aurait dû, comme le veut Montesquieu, en lui accordant les droits de juge, lui imposer des formalités qui ôtassent à ses arrêts le caractère d’une action violente. La loi n’a rien fait de cela. Elle-même autorise l’abus. Le maître peut tout ce qu’il veut. On lui a permis d’avoir un cachot, et l’on n’a fixé ni la forme, ni les dimensions de ce cachot ; on lui a permis de mettre un esclave en prison, et l’on n’a arrêté ni le nombre de jours ou de mois, ni les conditions de cet emprisonnement ; on lui a permis de le charger de chaînes, et l’on n’a déterminé ni le poids, ni la nature de ces chaînes. Son pouvoir est presqu’illimité. N’est-il pas tout simple alors que des gens d’une intelligence étroite se jugent dans leurs pleins droits en construisant ou en conservant des chambres