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à esclave ne jette-t-elle point sur la société coloniale ! Surtout lorsqu’on apprend que M. Douillard Mahaudière, riche, estimé, tenant par sa nombreuse famille et ses relations à tout ce qu’il y a de plus élevé dans la Guadeloupe, est un homme bon, généreux, d’une charité inépuisable, dont tous les pauvres, nègres, gens de couleur ou blancs (cela fut acquis aux débats de la manière la plus authentique, la moins équivoque), dont tous les malheureux, quels qu’ils fussent, trouvaient toujours l’oreille et la bourse ouvertes ! Oui, ce grand coupable, la Providence de son quartier comme plusieurs témoins l’appelèrent, lui qui tint, pendant vingt-deux mois au fond d’un cachot de quatre pieds de haut, une femme enchaînée, est innocent dans son cœur ; il ne croyait point du tout avoir dépassé les limites de son pouvoir ; il était fort surpris que la loi lui demandât raison de sa conduite. M. Amé Noël est aussi un homme de mœurs remarquablement douces. Il n’a pas même de cachots sur ses deux habitations, et cependant il n’est que trop certain, malgré le scandale de son acquittement, il a fait périr un esclave dans les tortures. — Une affaire jugée à la Martinique, au mois d’août 1836, montre encore par des résultats plus épouvantables dans leurs détails, le danger qui existe à laisser aux hommes l’arbitraire que les colons veulent garder.

M. Brafin, négociant à Saint-Pierre, est en même temps propriétaire d’une sucrerie dans la commune de la Rivière Salée. Cette sucrerie fatalement appelée Habitation de l’Abandon, est assise sur des terres basses, humides, à moitié noyées dans les grandes pluies de l’hivernage, coupées de canaux où l’eau reste stagnante. Les nègres placés sur l’Abandon ne sont en grande partie qu’une agglomération d’esclaves de toutes mains, achetés dans les diverses communes de l’île, originaires de lieux plus élevés, plus secs. — L’habitation fait des pertes considérables, ruineuses, soit en esclaves, soit en animaux. Dans l’espace de deux mois elle a dévoré presque tout un atelier ; cinquante nègres ont péri ! Le propriétaire en est réduit