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Aurions-nous été réellement trompé ? Nous ne le croyons pas, car nous avons passé des semaines entières sur des habitations ; sur quelques autres nous avons été présenté sans y être attendu. Tout au plus est-il vrai que nous n’avons vu que les bonnes. Il est certain que ce qu’il nous a été donné d’observer, nous le devons à l’hospitalité des planteurs, qui nous admirent chez eux, précisément parce qu’ils n’avaient rien à y cacher. Les mauvais, par une raison toute simple, se souciaient peu de notre visite. En tous cas nous avons dû nous borner à voir la surface. Ce devait être. Les meilleurs même ne pouvaient nous laisser pénétrer au cœur des choses, c’est-à-dire nous asseoir dans les cases pour y écouter les confidences et les vœux des nègres, ainsi que nous écoutions leurs discours à eux-mêmes. Ces rapprochemens entre l’abolitioniste et les esclaves, auraient eu leur danger comme effet moral sur des populations faciles à agiter. La servitude est pleine de douleurs latentes, c’est une plaie que l’on ne peut sonder sans faire éclater les imprécations du patient.

Mais, hélas ! il n’est pas besoin d’aller curieusement au fond des cases pour découvrir la vérité, elle se révèle d’elle-même par de sinistres événemens dont nulle censure ne parvient à étouffer le bruit. Quand les choses doivent finir, il semble que le hazard lui-même veuille concourir à accélérer leur chute. La servitude des nègres est attaquée de toute part, elle est prête à crouler, et ses derniers actes ne peuvent qu’exciter davantage les peuples éclairés à vouloir sa destruction. L’Europe ne vient-elle pas de retentir de l’affaire Douillard Mahaudière, lugubre histoire, mêlée d’adultère, de chaînes, de poison, de cachot tortionnaire, de vengeance impitoyable, de devineresse et de maléfices, qui semble dater du xiie ou xiiie siècle ? Quelle livide lumière cette nouvelle énormité de maître

    vendre. Au reste, il est de toute notoriété, aux colonies, qu’un maître peut disposer comme il lui plaît d’un négrillon âgé de quatorze ans. On remarque que notre correspondant ne se plaint du marché et des cadeaux qu’il signale que parce que « les trois petites filles n’ont pas encore quatorze ans. »