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les soldats qui gardent les canots, enfin, c’est là qu’il faut aller pour voir si les nègres sont bien. Nos enfans sont vendus avant l’âge de quatorze ans, je parle des enfans légitimes. Les femmes mariées, si elles ne font pas d’enfans, sont mises à la barre toutes les nuits, afin que le mari aille chercher d’autres négresses, et faire des enfans avec elles, enfin, nous sommes aussi malheureux que les nègres de M. ***[1], où l’on donne aux nègres que fouet et toujours fouet.

« Vous cherchez la vérité, et vous êtes bien loin de l’avoir trouvée, tous les blancs vous tromperont, et M. **** vous dira la vérité si vous la lui demandez. M. ****[2] seul est porté pour nous, il sait tout ce qui se passe sur les habitations ; si vous voulez savoir la vérité, écrivez-lui une lettre avant de partir. Tous les blancs disent qu’ils vous ont trompé, et M. ***** dit qu’on devrait vous doser dans un dîner[3]. Pauvres nègres, entre quelles mains sommes nous, quand et par qui nos fers seront brisés ? Tous les ans, M. **** dit l’année prochaine, et cette année n’arrive jamais.

« Je suis un nègre esclave à M. ***** ; je ne sais pas bien écrire, comme vous voyez, mais vous me comprendrez, je l’es-

  1. Nous sommes obligé de supprimer les noms des propriétaires accusés, car malheureusement nous n’avons pas de preuve et rien ne serait plus aisé que de dire : « Le correspondant a menti. » La nature de cette lettre nous justifiera suffisamment aussi auprès du public de ne point divulguer le nom du signataire. Notre livre n’est pas destiné à l’Europe seule ; notre désir, au contraire, est qu’il aille aux colonies, et notre espoir, qu’il y sera lu. Or, l’homme qui nous écrit est encore dans la dépendance de son maître, il pourrait être cruellement puni de ses révélations.
  2. Les mêmes motifs qui nous engagent à taire le nom de l’écrivain, nous forcent, on le conçoit, à cacher le nom de la personne indiquée ici, ce serait l’exposer à des persécutions ; car les colons ne manqueraient pas de voir en elle un faux-frère ou un ennemi. « Celui qui n’est pas avec moi, est contre moi, » a dit Jésus dans un moment d’intolérance.
  3. Il faut faire la part de l’humanité. Qui souffre devient injuste. Le blanc désigné pour conseiller le poison contre nous est un des plus nobles caractères que nous ayons rencontrés durant notre voyage.