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chez lui[1], il était parvenu à l’éteindre, en contraignant ses nègres à travailler depuis cinq heures du matin jusqu’à onze heures du soir. Au bout de deux mois, ajoutait-il, ils crachaient tous le sang : et quand je lui fis observer que s’il avait pu faire cela pour éteindre le poison, un autre le pouvait de même pour obtenir plus de produits. — Non, dit-il, mes voisins m’auraient dénoncé s’ils n’avaient pas trouvé que j’agisse avec justice. Malgré les voisins, nous avons entendu quelqu’un, parlant d’une habitation mise en fermage, dire que le fermier y avait fait d’énormes quantités de sucre, mais au prix des bestiaux et de l’atelier qu’il avait ruinés. Nous discutions avec M. Arthur Clay (Lamentin, Martinique), la valeur de l’ordonnance du 5 janvier 1840, qui décrète les visites de procureurs du roi sur les habitations. Il voulait que les propriétaires fussent chargés de cette police, afin de lui enlever son caractère humiliant et dangereux, mais il la reconnaissait utile « sur certaines habitations pour trop de relâchement ; sur d’autres pour trop de sévérité. »

Une lettre, qui nous est parvenue au retour d’une tournée à la campagne (Martinique), dira ce que peut être ce trop de sévérité que confesse un créole pur sang ; mais de bonne foi. Cette lettre est un document capital, une pièce importante au procès de l’esclavage.

« Monsieur, c’est pour vous dire qu’on vous a trompé que j’écris. Vous êtes venu à *** pour savoir si les nègres sont bien, les blancs vous ont fait voir que les nègres sont bien, mais les nègres sont mal. Les blancs sont intéressés à vous tromper ; si vous voulez savoir la vérité, allez voir à la case de M. **, où les nègres sont malheureux. Ils sont nourris comme les poules, avec le maïs (blé de Turquie) et encore on donne pas toujours l’ordinaire. Quelquefois on reste plusieurs semaines sans donner d’ordinaire, si les nègres demandent l’ordinaire, on les bat avec le fouet ; nos poules, on les fait tuer par

  1. On dit avoir le poison chez soi, lorsque les nègres empoisonnent les bestiaux. Nous parlerons du poison.