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vrage. On ne voit pas dans nos Antilles, de nègre ni de négresse quelque soit leur âge, avoir l’épine dorsale brisée comme l’ont nos vieux paysans vignerons et terrassiers. Le travail même de la roulaison, époque à laquelle les nègres sont obligés de fournir des services de nuit, est compensé dans ce qu’il a de pénible par les avantages dont ils jouissent pendant sa durée. Et encore les planteurs de la Guadeloupe qui essayent plus volontiers des innovations que les Martiniquais ont déjà disposé leurs usines de manière à supprimer les veillées. Presque toutes les sucreries de cette île sont fermées à neuf heures du soir. — C’est un exemple à suivre pour la Martinique, qui apprendrait de bonnes choses chez son ancienne vassale, ne fût-ce qu’à jeter avec une admirable hardiesse scientifique des ponts sur ses rivières torrentueuses, à faire de magnifiques routes et à construire pour les terrains mouvans des chaussées auxquelles l’art de l’Europe n’aurait rien à reprendre.

Nous avons vu les choses, et nous le répétons, elles ont bien changé, l’habitant soigne aujourd’hui ses nègres avec le même intérêt qu’un éleveur met à soigner ses bestiaux, plus encore, car l’éleveur peut acheter d’autres animaux, tandis que l’habitant ne le peut pas. L’amélioration du sort de l’esclave tient en quelques points à des causes d’économie domestique, qu’il est facile d’apprécier. En effet, si l’esclave ne travaille pas on le fouette, mais quand on l’a taillé[1] à le rendre malade, il faut attendre pour recommencer ; jusque-là le récalcitrant ne fait rien. Supposez-le doué d’une certaine force d’inertie, et vous concevrez que le maître, plus observé d’un côté et dont les mœurs plus policées de l’autre répugnent aux extrêmes violences, se lasse de frapper avant que l’esclave se lasse de l’être. Quand on a épuisé contre lui tous les moyens, on est bien obligé d’en prendre son parti et de le laisser. Nous avons vu de ces rares incorrigibles sur quelques habitations ; maître, géreurs[2], économes, commandeurs, tout le monde a renoncé

  1. Tailler. Battre à coups de fouet.
  2. Le géreur remplace le maître, rarement un propriétaire qui habite