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larges traces de leur passage sur la terre retournée à vif ou nettoyée d’herbes. — La besogne est en outre beaucoup adoucie par l’aide de la musique : c’est une importation africaine. À chaque atelier est attaché un chanteur ou une chanterelle qui, placé derrière les travailleurs et appuyé sur le manche de la houe fait entendre quelques airs d’un rhythme cadencé, dont les autres répètent le refrain. On ne saurait croire combien cette musique allège la fatigue. L’association a des vertus si puissantes que même le travail esclave fait ainsi en commun, présente un aspect moins triste que le travail solitaire et morne de nos paysans.

Il entre assez généralement dans la composition des rangs au jardin plus de femmes que d’hommes, voici comment cela s’explique. Une habitation est un village en petit. Souvent établie à une distance considérable des centres, elle doit être pourvue de tout, et avoir, tonneliers, maçons et forgerons, outre des gardeurs de bestiaux, des cabrouetiers[1], sucriers[2], ratiers[3] ; et canotiers, Tous ces gens qui ont des apprentis destinés à les remplacer, sont pris sur la masse de l’atelier comme aussi les commandeurs, et ils diminuent d’autant la population mâle qu’il est possible d’attacher spécialement à la terre. Or, depuis que la traite n’a plus lieu, depuis

  1. Ceux qui conduisent les charrettes.
  2. Ceux qui font le sucre.
  3. Toutes les Antilles sont perpétuellement frappées d’une des plaies d’Égypte. Infestées d’une quantité innombrable de rats, elle ne peuvent s’en débarrasser, malgré la guerre acharnée qu’elles leur font. Il n’est pas d’habitation qui n’ait un homme ou deux, uniquement occupés, avec huit ou dix chiens, de la chasse aux rats, d’où ces hommes prennent le nom de ratiers. Pour stimuler davantage leur zèle on leur donne une petite prime par cent queues qu’ils apportent. On nous a cité à Puerto-Rico une sucrerie où il avait été tué, en six mois, dix mille de ces bêtes maudites. Les rats aiment la canne de passion, et comme ils savent toujours choisir la plus mûre, et qu’ils en gâtent une par repas, ils font un tort considérable aux récoltes. Les serpens venimeux de la Martinique aident un peu les ratiers, mais on ne leur en sait aucun gré, car ils font payer leurs services trop cher.