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enfant de vous, » répondit l’esclave en plaisantant. La vie enfin se formule chez ces malheureux, presque comme chez nous ; chacun obéit à son caractère et l’on voit les jeunes filles qui apportent les cannes au moulin, gaies comme leur âge, se les jeter en jouant. Ce tableau est vrai, et je n’hésite pas à le peindre, bien qu’il contrarie ce que j’écrivais, il y a un an à peine. J’avais été trop loin.

Les rapports entre le maître et l’esclave ont même un caractère plus intime qu’il n’arrive entre nous et nos domestiques. Le commandeur de l’habitation Gradis dont il est parlé dans le chapitre précédent envoya emprunter à la maison une grande table qu’il désignait ; il ne se donna pas même la peine de venir la demander lui-même. Tout ce monde-là, voyez-vous, me disait M. Brières, du Macouba, en parcourant ses cases à nègres, nous appartient de père en fils, nous les traitons comme une famille. Et je voyais effectivement les marmailles (les enfans) se pendre aux jupes des dames Brières qui nous accompagnaient. Dans un salon où l’on fait de la musique, où l’on danse, vous voyez nègres et négresses venir tout uniment à la porte, la dépasser et se mettre à regarder où à écouter. Cette liberté de commerce existe surtout entre les dames et leurs servantes, celles-ci à l’église sont toujours dans le banc, à la maison dans la salle où se tient leur maîtresse, elles se mêlent à tout ; c’est de la familiarité, nous allions dire de l’intimité. Rien n’est plus ordinaire que de les voir emprunter pour aller à une fête les plus beaux bijoux et les chaînes d’or de leur maîtresse. Les dames créoles sont douces, bonnes, d’un extrême laisser aller, elles se plaignent beaucoup de l’engeance noire et il n’en est pas une qui n’ait quelque gâtée noire ou de couleur dont l’unique service est de la tourmenter. Qu’est-ce que cette petite fille qui est toujours sur vos genoux ? demandions-nous à une dame, « C’est l’enfant d’une de mes servantes qui est morte ; la pauvre créature me l’a recommandée en mourant. » Il faut voir aussi le plaisir qu’elles prennent au luxe de leurs femmes, on détailla par curiosité devant nous le costume de l’une d’elles, ils se mon-