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sans aucun prélèvement pour la cuisson. — Beaucoup d’habitans prennent le soin généreux de faire border les champs de cannes d’une haie de pois d’Angole[1], arbuste qui fournit en abondance et toute l’année une fève excellente. Les nègres ont le droit de la cueillir, et chacun au retour du travail trouve le long des chemins, et presqu’en se promenant, de quoi se faire un bon plat de légume. Le colon joue ici le rôle que les hommes religieux donnent à la Providence, qui partout montrant le bienfait et cachant le bienfaiteur, nous prodigue dans les fruits des bois, dans l’eau des sources, dans l’abri des arbres, mille dons toujours prêts, pour lesquels elle ne réclame de nous ni peine, ni reconnaissance, et qu’elle ne nous demande pas même d’employer.

Les esclaves arrivent par ces petits moyens, en s’industriant un peu, à une certaine richesse relative. Plusieurs ont assurément en propriété au-delà de la valeur de leur cadavre, comme ils disent, et peuvent se livrer au goût passionné qu’ils ont pour la parure. On en voit le dimanche en redingottes ou en habits très bien faits, avec gilet de satin, chemise à jabot, bottes, et l’indispensable parapluie ; ils adoptent complètement notre costume, et une fois habillés, deviennent presque méconnaissables, car ils ont naturellement bonne tournure. À les rencontrer ainsi, on ne se douterait pas que ce sont les mêmes hommes que l’on a vus la veille travailler en haillons. Les négresses habillées ne sont pas aussi riches que les colons se plaisent à le dire, elles ne sont pas chargées d’or et de dentelles, mais les grosses boucles d’oreilles et les gros boutons de manches de chemises ne manquent pas chez elles, et vont merveilleusement avec le costume pittoresque qu’elles ont conservé ! Les enfans sont aussi très bien tenus le dimanche ; parmi eux nous ne pouvions nous lasser de regarder des

  1. Le pois d’Angole a des vertus médicinales que nous n’avons vu employer ni à la Martinique, ni à la Guadeloupe. En Haïti on applique les feuilles comme cataplasmes sur les plaies, et on fait du bois de l’arbuste, réduit en cendres, une lessive qui déterge les ulcères.