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tâche. « Tout est pris sur leur repos, nous faisait observer M. Winter, de la Martinique, jeune avocat créole aux idées généreuses, et avec ce paquet de 75 livres pesant ils viennent quelquefois d’une lieue de distance, cela pour 20 francs par mois ! »

Les esclaves ont plusieurs autres moyens d’augmenter leurs profits ; ils élèvent des volailles, des porcs, des vaches, et même des chevaux. Chez M. Douville (Sainte-Anne, Guadeloupe), il y a un troupeau de cent têtes de moutons appartenant à ses nègres. Chacun y apporte les siens, et M. Douville, afin de les aider, leur donne un berger. On peut le dire en thèse générale, la richesse plus ou moins grande des esclaves dépend beaucoup des bontés du propriétaire, de même que leurs dispositions laborieuses dépendent de la manière dont ils sont dirigés. Des planteurs nous ont dit : « Je suis obligé de forcer mes nègres à travailler pour eux le samedi ; sans quoi ils mourraient de faim. » D’autres nous ont affirmé qu’ils n’avaient pour cela nulle contrainte à exercer. — On a fait du nègre une chose : il a dû tourner à l’état de chose et ne plus vivre que de la vie qu’on lui communique.

D’autres libéralités des propriétaires adoucissent encore la situation de l’esclave ; lors de la récolte de son jardin, par exemple, le maître lui permettra d’user des plantines de torrefaction, des grageoires ou du moulin pour le manioc ; lors de la roulaison[1], deux fois par jour chez certains habitans, à discrétion chez d’autres, chaque membre de l’atelier viendra prendre du vezou[2], et depuis le matin jusqu’au soir pourra manger de la canne à discrétion. — À la tuilerie de M. Chazel (Martinique), les nègres, outre leurs jardins, exercent une industrie particulière ; ils font avec la terre à tuile des poteries de toute espèce, qu’ils placent dans le haut du four, et dont le profit leur appartient

  1. Fabrication du sucre.
  2. Jus de la canne qui n’a encore subi que deux cuissons, il lui en faut quatre pour devenir sucre ; le vezou est une liqueur excellente au goût et très nourrissante.