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bonnes choses ; l’émancipation ne présenterait aucune difficulté, si tous les créoles avaient du juste et de l’injuste des notions aussi élevées.

Le jardin est la source principale du bien-être que les esclaves peuvent acquérir. Malgré l’article 24 du code noir, qui défend aux maîtres de se décharger de la nourriture de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte, il se fait sur un grand nombre d’habitations entre le propriétaire et ses gens, un échange de l’ordinaire ou du demi-ordinaire contre le samedi ou le demi samedi ; transaction favorable au maître, qui n’a plus de capital à débourser pour s’assurer des vivres, et acceptée de bon cœur par le noir qui en travaillant le samedi et le dimanche à son jardin, y trouve de grands bénéfices. Il le plante communément en provisions à son usage et en manioc, qu’il vend au maître[1], ou qu’il porte au marché des villes et des bourgs voisins. Les propriétaires cultivent très peu de manioc, la canne rapporte davantage. La majeure partie de ce pain des Antilles est dû au travail particulier des esclaves ; culture, arrachement, manipulation de la farine, ils font tout hors des heures du maître. La grage[2] a lieu le soir dans des veillées, souvent prolongées jusqu’à onze heures et minuit !

Et l’on dit que ces gens-là ne travailleront pas lorsqu’ils seront libres !

Quand l’esclave a le samedi il peut gagner, outre sa nourriture, 2, 3, ou 400 fr. ; les hommes plus, les femmes moins. Sur les habitations à grandes terres, les jardins sont quelquefois d’un et deux arpens, on en donne même aux enfans s’ils en demandent, dès qu’ils se sentent assez de force. Nous avons vu chez M. Meat-Dufourneau (Martinique), de très jeunes garçons

  1. Le planteur a toujours à nourrir les enfans, les vieillards, les infirmes, les femmes enceintes, tous les membres de l’atelier enfin qui ne peuvent gagner l’ordinaire en cultivant un jardin pour leur compte.
  2. Râpage de la racine pour la réduire en poudre.