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une des conséquences inévitables de l’esclavage. Tous les estomacs doivent s’y prêter, varier serait impossible. Mais ici encore l’habitude est venue en aide à la nécessité, les noirs et aussi les maîtres, aiment aujourd’hui les salaisons, et toute table créole a son plat de morue à déjeûner. Par malheur, l’esclave ne peut diversifier ses alimens comme le maître, et plusieurs hommes de l’art supposent qu’il faut attribuer en partie à l’usage exclusif du poisson salé la principale maladie à laquelle succombent les nègres. Cette maladie appelée aux Antilles le mal d’estomac, sans doute à cause de la perversité des appétits qu’elle amène, nous semble répondre à ce que les médecins d’Europe nomment la chlorose[1]. Les maladies cutanées et dartreuses, assez communes parmi les noirs, tiennent également sans doute, à quelque vice du sang gâté à la longue par cette alimentation insalubre. La science a reconnu que la nourriture habituelle de poisson déterminait des affections de la peau très tenaces. Les historiens des découvertes de Christophe Colomb rapportent que ces sortes de maladies étaient excessivement nombreuses chez les Caraïbes des Antilles, et l’on sait que ces Caraïbes étaient exclusivement ichtyophages. — Quant à la farine de manioc, c’est une substance très nourrissante, fraîche à la bouche, merveilleusement appropriée à l’usage des salaisons. Le nègre des colonies françaises la préfère à tout, et beaucoup de planteurs, beaucoup de dames blanches laissent le pain pour cette farine.

La case, les rechanges[2], l’hôpital, l’ordinaire ; le maître ne doit rien de plus à ses esclaves, pour le reste ils sont obligés de se le procurer par la culture d’un morceau de terre appelé jardin, auquel ils peuvent travailler à leurs heures. L’ordonnance du 15 octobre 1786 veut, article 2 « qu’il soit distribué à chaque nègre ou négresse une petite portion de l’habitation,

  1. Aux appétits déréglés se joint une prostration de forces, qui amène la mort à la suite d’un épuisement total.
  2. Nom de l’habillement fourni aux nègres.