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masse du sang l’usage prolongé des salaisons pour nourriture, doit nécessairement altérer la circulation. On peut voir là une explication admissible du triste phénomène des éléphantiasis dont tant de malheureux sont atteint aux colonies. L’habitude de marcher pieds nus entre encore pour une part dans les maladies de poitrine auxquelles succombent beaucoup de femmes de couleur. Naturellement d’une propreté excessive comme les noirs, elles ne voient jamais un ruisseau, une mare, un peu d’eau sans y tremper leurs pieds échauffés par le sol brûlant ou par la marche, et il est difficile avec ce régime d’échapper à de mortels refroidissemens. Nous n’ignorons pas combien d’obstacles l’introduction de la chaussure aurait à vaincre, on ne change pas sans peine des habitudes prises par une génération entière, mais encore avec le temps peut-on y parvenir. Ce serait rendre un véritable service à la basse classe des Antilles.

Nous parlions tout-à-l’heure des hôpitaux. La célèbre ordonnance du 15 octobre 1786, premier pas de la métropole vers l’amélioration du sort des nègres, a voulu que chaque habitation eût le sien. Les soins que les esclaves y reçoivent sont en rapport avec l’aisance et l’humanité du propriétaire, et trouvent une certaine garantie dans son propre intérêt ; mais presque partout les salles sont négligées, infectes, d’une malpropreté hideuse, et l’on peut répéter aujourd’hui, ce que le colonel Malenfant, créole planteur, écrivait en 1814 : « Même dans les meilleurs hôpitaux les nègres et les négresses ne couchent que sur des lits de camp[1]. »

L’esclave a droit pour sa nourriture à deux livres de morue et deux mesures de farine de manioc par semaine : c’est ce que l’on appelle l’ordinaire. Sur plusieurs habitations, la libéralité du maître y joint sans y être tenu au nom de la loi, une portion de sel ou de riz. La nourriture des nègres est composée ainsi depuis le premier jusqu’au dernier jour. Cette uniformité était

  1. Des colonies, et particulièrement de celle de Saint-Domingue.