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moins ses esclaves s’éloignent de l’état brut de nature, moins ils sont à craindre, et moins ils paraîtront dignes de la liberté. — Tout ce que les esclaves ont acquis dans la servitude, ils le doivent uniquement à eux-mêmes ; jamais les maîtres n’y ont rien fait, de quelle utilité eût-ce été pour eux ?

Les nègres marchent nus pieds. D’anciennes ordonnances, tombées en désuétude, leur défendaient de porter des souliers. L’usage, comme il arrive, a fini par créer un goût, et bottes et souliers ne sont aujourd’hui pour les esclaves ou les libres[1], qu’un objet de luxe. Il n’est pas rare de rencontrer sur les chemins des hommes habillés pour se rendre à la ville, qui portent leurs souliers, en attendant qu’ils arrivent. La même chose, au reste, se présente dans les campagnes d’Europe. On cite de la sorte des libres qui, par vanité, portent toujours des souliers à la main et n’en ont pas usé une paire en leur vie. Grâce au climat, les blancs eux-mêmes ont de la peine à obliger leurs enfans à se chausser. Malgré cela, c’eût été, nous croyons, une utile réforme à introduire que de forcer les maîtres à chausser les esclaves. Lorsqu’on visite les hôpitaux des plantations, on y trouve un nombre considérable de mal-pied, comme ils disent. Ces maux de pieds ont pour principale cause, les chiques, petits vers imperceptibles d’abord, qui se logent dans la peau et y grossissent, de sorte que pour peu qu’on n’ait pas soin de les arracher, ils la désorganisent, et amènent des affections fâcheuses. Cela tient évidemment à l’usage de marcher nus pieds. En outre, les parties inférieures du corps, ainsi abandonnées à elles-mêmes, étant toujours exposées à l’humidité en traversant les rivières ; il arrive que les tissus se relâchent et donnent lieu à ces accidens de varices si répétés parmi les classes pauvres des îles. L’effet de cette prédisposition, combiné avec l’influence que doit avoir sur la

  1. Quand on parle d’un libre, aux colonies, il est toujours sous-entendu qu’il est nègre ou sang mêlé, le blanc ne pouvant jamais être esclave.