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sa chemise. Ces loques peuvent émouvoir le philosophe, mais elles ne doivent point exciter notre sensibilité. Il n’y est attaché, dans l’esprit de personne aucune idée de blâme, et les habits sont presqu’une superfluité sous les tropiques. Nous nous rappelons un nègre auquel son maître dit, lui voyant les reins à peine enveloppés d’un bout de caleçon : « N’avez-vous pas honte d’être ainsi nu ! » et qui répliqua ingénuement : « Pouquoi moin honte ? Moin pas négresse. » « Pourquoi serais-je honteux, je ne suis pas négresse. » Et celui-là encore était fort avancé ! Il est beaucoup de femmes esclaves, en effet, qui n’ont pas acquis les notions de pudeur que la civilisation a créées pour leur sexe ; il n’est aucunement rare (à la Guadeloupe surtout) de voir des négresses le sein entièrement découvert, et des enfans déjà âgé de huit ou dix ans, tout-à-fait nus. « Je me souviens qu’autrefois, dînant à la Martinique chez une veuve âgée, je vis parmi les valets qui nous servaient à table un garçon de douze à treize ans entièrement nu. On me dit qu’apparemment son linge était à la lessive[1]. » Voilà comme la servitude a élevés les nègres au-dessus de la barbarie africaine !

L’extrême chaleur du climat ne peut servir d’excuse à ceux qui tolèrent ces désordres parmi leurs esclaves. L’habitation de M. Dupuy, au Macouba, où l’atelier est proprement vêtu, parce que le maître y tient la main, et l’emploi prolongé de la chemise dont nous parlions tout-à-l’heure, sont des preuves que le noir n’a pas pour la nudité le goût qu’on lui suppose, et qu’avec du soin on pourrait le rendre moins désordonné. Les maisons que se bâtissent déjà les émancipés anglais, les belles cases de commandeur, chez M. Perrinelle, ne laissent aucun doute sur ce point. Mais que la population en sa puissance prenne des habitudes régulières, c’est le dernier souci d’un planteur. Il ne voit, il ne peut voir que des instrumens de travail dans les nègres, et pourvu qu’ils lui fassent beaucoup de sucre, il est content, le reste ne l’inquiète pas ; au contraire,

  1. Léonard, créole de la Guadeloupe.