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natte sur le sol pour dormir, un nœud de gros bambou en place de cruche à eau, une ficelle tendue en travers pour porter quelques lambeaux de vêtemens. C’est une absence totale de tout ce qui constitue le moindre degré de civilisation.

Le nègre, comme tous les membres de l’espèce humaine, porte en lui l’instinct du luxe, il recherche les beaux habits, et il fait des dessins sur les calebasses qui lui servent de plats, de verres, d’assiettes et de tasses ; mais il n’a point acquis, depuis trois cents ans, au milieu de ceux qui prétendent le perfectionner par la servitude, il n’a point acquis la plus petite intelligence du comfortable. Sa case est encore l’image d’une grossièreté de mœurs et d’habitudes qui touche à la sauvagerie. Un habitant du quartier Port-Louis (Guadeloupe), M. Beuthier, dont l’âme élevée a su se garder des pernicieuses influences que l’esclavage exerce d’une manière différente sur le maître et sur les esclaves, nous disait avec tristesse, en nous faisant visiter ses cases à nègres : « Je suis honteux de vous montrer la dégradation de ces pauvres gens ! mais que voulez-vous ; j’ai fait tout au monde pour les rendre plus soigneux ; j’ai été obligé d’y renoncer ; ils sont trop avilis par leur condition, ils ne comprenaient pas ce que je voulais leur dire. »

Cependant il est juste de le confesser, les nègres ignorant du mieux ne souhaitent pas davantage, ils ne conçoivent pas, ils ne désirent même pas autre chose. Nous, Européens, nous croyons qu’il faut la longue habitude de pareilles demeures et l’engourdissement moral de l’esclavage pour les supporter. Cela n’est vrai que jusqu’à un certain point, la clémence du ciel des Antilles fait le reste. Les planteurs français donnent d’ailleurs, sous ce rapport, un très mauvais exemple à leur monde, ils sont loin d’avoir la recherche du chez soi de leurs voisins les Anglais ; ils ne se logent pas, ils campent, et quelques-uns ne sont guère mieux meublés que leurs noirs.

En général, et cela dit une fois pour toutes, il ne faut pas raisonner sur les colonies par voie d’analogie absolue avec l’Eu-