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meurt tout seul, a trop d’occasions de se déranger et trop peu d’intérêt à éviter ces occasions. Un homme marié, en raison des devoirs intérieurs que lui impose son état, nous offre plus de chance de passions assouvies, de mœurs calmées, d’esprit d’ordre et de retenue. — Le mariage n’est mauvais que parce que l’on en a formé un lien indissoluble. Par lui-même il est excellent, il met un frein à nos folles ardeurs, et les habitudes de la famille donnent à la vie moins d’agitation et d’irrégularité.

Insistons sur ce point des émigrations par famille, il est capital ; et notre pensée entière demande à être bien comprise. Nous ne nous adressons pas du tout à la partie aventureuse de nos compatriotes. C’est aux tristes victimes que fait l’anarchie sociale dans laquelle on laisse marcher la France au hasard, c’est aux pauvres que vont nos paroles. Il ne s’agit plus d’aller jouer un quitte ou double sur le tapis chanceux des îles, d’aller risquer une existence mal entamée à Paris, contre une fortune rapidement amassée en Amérique. Rien de cela, il s’agit de renoncer à la vieille patrie pour la nouvelle, d’échanger un travail insuffisamment rétribué, une huche vide, un âtre glacé où des enfans transis pleurent de froid sous des haillons à jour, une vie misérable et douloureuse comme l’est celle d’un grand nombre d’ouvriers d’Europe, même des plus honnêtes. Il s’agit d’échanger tout cela, non pas contre des richesses prodiguées à un oisif par les fatigues de ses nègres, mais contre un travail rapportant son juste salaire, une abondance perpétuelle assurée à l’homme