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« Nul ne pourra obtenir un prix ou une mention, qui sera convaincu sur bonnes preuves d’avoir été vu en état d’ivresse une seule fois dans l’année. »

Tafia.

Cette dernière clause nous met sur la voie d’une réforme qui est le complément véritable de l’abolition.

L’un des plus grands ennemis que les colonies se soient créés à elles-mêmes est assurément le tafia[1]. La quantité que l’on en peut tirer des résidus de la fabrication du sucre, le bon marché auquel il est possible de le livrer, l’ont rendu d’un usage fort commun. Les nègres en boivent démesurément, mais leurs excès sont loin d’égaler ceux des blancs. Rien n’est moins rare aux Antilles que de rencontrer des soldats et des matelots roulant dans les ruisseaux et saisis de cette ivresse du rhum, plus hébétée, plus hideuse, s’il est possible, que celle du vin.

L’essence d’une bonne législation est d’encourager la vertu, de décourager et surtout de prévenir le vice. Pour obéir à ce principe,

« Le tafia sera frappé, à la consommation intérieure, d’un impôt de 6 fr. par demi-litre. »

Profondément convaincu que la débauche est la première cause de mort pour les ouvriers européens qui viennent aux îles, et de dérèglement pour les indigènes, nous sommes assez disposé à demander la suppression de la fabrication du tafia dans nos colonies, comme pouvant prévenir beaucoup de désordres et de malheurs. Nous recommandons ce sujet à la sollicitude du législateur. — Nos deux îles des Antilles ne fabriquent ensemble que trois millions et demi de litres de tafia. Les habitans sucriers tirent si peu de bénéfices de cette industrie, que plusieurs y ont déjà renoncé. On trouve, en parcourant les campagnes beaucoup de distilleries en ruine, et il n’y a guères que les habitans de l’intérieur où l’on éprouve de grandes difficultés à transporter les sirops, qui continuent à préparer ce poison. Il serait donc peu coûteux de faire renoncer nos îles au tafia en donnant une légère prime à l’exportation de tous les gros sirops, ou bien en les achetant au prix courant de la place. L’état qui revendrait ensuite ces liqueurs aux marchands de l’Amérique du nord, trouverait plutôt du bénéfice que

  1. Le tafia est la liqueur que l’on obtient par distillation du gros sirop et des écumes résultant de la fabrication du sucre de cannes. Le rhum n’est autre chose que du tafia vieilli et coloré avec un peu de caramel.