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aucun cas à forcer un homme de demeurer à telle ou telle place. La faculté de locomotion est une de celles qu’il est le plus juste et le plus naturel de respecter. Au milieu des obligations que la vie en société nous impose, elle n’a toujours été touchée qu’avec la plus grande réserve par Les législateurs de tous les temps.

Vol de cannes et de vivres.

« Tout vol est poursuivi et puni conformément aux lois du royaume. »

« Le vol de la canne, du bois[1], des provisions de terre et des herbes propres à la nourriture des bestiaux, en un mot le vol que l’on pourrait appeler rural, sera poursuivi criminellement comme tout autre atteinte à la propriété. »

On peut objecter, nous ne l’ignorons pas, à cette sévérité particulière de notre loi que les terres des colonies n’ont ni haies, ni murailles, que chaque passant a les vivres, l’herbe, la canne, pour ainsi dire, sous la main, et que c’est punir avec trop de rigueur un larcin dont la tentation est si perpétuelle et l’exécution si facile. Mais les lois veulent être faites conformément aux nécessités des pays et des circonstances. Or, il faut le reconnaître, dans ces luxuriantes contrées des Antilles, où l’homme a besoin de si peu pour vivre, les produits de la terre doivent être étroitement défendus. La seule manière de ne pas décourager ceux qui cultivent, c’est de garantir inviolable leur propriété, et des moyens de tuer la paresse, c’est de l’empêcher de prendre pour se soutenir, un fruit qu’elle rencontre sur son chemin. À ce point de vue il est de la dernière urgence de ne pas tolérer la plus légère infraction au respect dû à la propriété. Quoi ! vous ne permettez pas à un pauvre de ramasser quelques petits morceaux de bois mort, un peu d’herbe ? Non, parce qu’il n’y a pas de pauvres dans un pays où le minimum de la journée de travail est fixé à trente-cinq sous, avec un jardin en outre à cultiver ; dans un pays où les bras faisant défaut, l’homme valide trouve immanquablement de l’emploi ; dans un pays où les hôpitaux et les hospices étant ouverts à tous, l’homme invalide et malade est toujours secouru et nourri par la société. Non, car un paquet d’herbe ou de bois que l’on fait en une heure, que l’on apporte à la ville en une demi-heure, se vend sept, huit, dix sous, et il y a plus que de quoi vivre pour celui qui peut se nourrir avec un sou de gros sirop et

  1. Petits fagots que l’on porte à la ville pour les cuisines.