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ne doivent plus rien à leurs anciens maîtres, ceux-ci ne doivent plus rien à leurs anciens esclaves. Cela étant, grand nombre de vieillards, d’infirmes, de malades qui se trouvent aujourd’hui à la charge de leurs propriétaires vont tomber à la charge de l’état. Un des premiers devoirs du législateur est d’ouvrir un asile à tous ces malheureux, nous entendons que la déclaration d’indépendance ne peut être prononcée sans la création simultanée d’hospices pour les infirmes et les vieillards, de fermes agricoles pour les orphelins abandonnés, et d’hôpitaux pour les malades pauvres.

    retirée de l’oisiveté et du vagabondage. Ces hommes, ainsi que les nouveaux affranchis, soumis pendant sept années à un service actif, à une discipline régulière, instruits à des écoles régimentaires bien organisées, pourraient être rendus, en toute confiance à la société. Les vagabonds, libres déjà, seraient devenus des hommes honnêtes et laborieux, et pour les affranchir, l’éducation et la famille auraient commencé, La liberté serait devenue pour eux un breuvage salutaire.

    « À la Guadeloupe, le littoral seul est cultivé : cette partie forme environ la moitié de la surface de l’île. Au centre, dans la partie élevée, il existe, parmi les montagnes, une quantité innombrable de plateaux et de vallées d’une riche fertilité. Là, le gouvernement pourrait donner une portion de terre déterminée à chaque soldat, à la fin de son temps de service. Une nouvelle population se formerait ; son principe serait honorable, son existence laborieuse.

    « La population de couleur de la Guadeloupe est endurcie à gravir les montagnes, à vivre de racines, à marcher pieds-nus, à résister aux intempéries et au soleil le plus ardent. Cette population est brave jusqu’à la témérité. Elle ambitionne le métier de soldat ; son bonheur est de porter un uniforme.

    « Il est probable qu’un bon nombre de volontaires s’adjoindraient à ce corps, que le tirage au sort aurait d’abord formé. Le voyage d’Alger sourirait à leur ambition. Les Antilles françaises viendraient ainsi, avec des soldats endurcis au soleil de l’équateur, porter un tribut précieux et un secours efficace dans une aussi intéressante possession de la France.

    « Le corps, resté au service de la colonie, aurait pour cadre des colons. Le plus haut grade ne pourrait être que chef de bataillon. Ses officiers ne concourraient point, pour l’avancement, avec ceux de l’armée. Le service pour Alger, seul, jouirait des mêmes avantages que l’armée française.

    « On s’occupe beaucoup, depuis quelques temps, de la question d’émancipation.

    « Avec tous ses autres avantages, dont ici nous n’avons indiqué qu’une partie, la conscription, aux Antilles françaises, serait un commencement d’exécution de cette grande mesure. Ce moyen consacrerait le principe de l’égalité devant la loi, et ne coûterait rien à l’État, car il sera facile de prouver que la dépense, pour ce nouveau bataillon, se retrouverait amplement, et même avec bénéfice, dans la suppression de ces énormes frais de renouvellement continuel de troupes, de passages, de frais d’hôpitaux, etc., etc.

    « En supposant même qu’il y eut à peine compensation, quelle différence pour la patrie, de payer pour la mort ou la vie de ses enfans !…

    « Le fléau de la fièvre serait vaincu, plus de veuves, plus de mères en deuil !

    « Le voyage aux colonies deviendrait une brillante et joyeuse campagne !

    « La puissance de l’État, les colonies, l’humanité et la morale y gagneraient !

    « Le projet est beau :

    « Honneur à celui qui l’a conçu ! »

    Édouard Bouvet.