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d’hui l’image de l’anarchie la plus complète, cette anarchie s’est formulée plusieurs fois en incendies et en révoltes ; l’autorité a rétabli l’ordre, mais l’anarchie n’en existe pas moins, elle s’est réfugiée dans tous les cœurs, elle se montre à la moindre occasion[1]. » Encore une fois que l’on y songe, les craintes que nous manifestons ne sont point celles d’un homme préoccupé de certaines idées. Il nous est facile de prouver que les nécessités de la position n’échappent pas aux créoles de bon sens. On vient d’entendre M. Fortier de la Martinique, voici maintenant ce que je trouve dans un mémoire qu’un habitant propriétaire de la Guadeloupe m’a fait l’honneur de m’envoyer. « Ainsi l’intérêt même des colonies réclame une solution immédiate de la question, cette solution ne peut être contraire à l’émancipation, si elle l’était, si la chambre des députés prononçait cet arrêt : l’abolition est indéfiniment ajournée, elle donnerait un signal de troubles et de désordres. La population esclave, dans l’attente de l’événement qui lui est annoncé, que le sentiment de la justice qu’elle porte en elle lui fait pressentir, frustrée dans ses espérances, éclaterait peut-être, et les terribles manifestations de sa colère seraient les conséquences de cette imprudente décision. » Écoutez maintenant un délégué des blancs de Bourbon : « La sourde fermentation qui se manifeste au sein des populations coloniales annonce que l’équilibre n’y existe plus. L’esclavage s’en va, il est condamné par l’opinion, et de cet état des esprits à la violence, il n’y a qu’un pas. Cette opinion a besoin d’être aidée et dirigée dans sa marche, si l’on ne veut pas exposer les colonies à toutes les éventualités de convulsions sociales[2]. »

Les autorités elles-mêmes proclament tout haut que le moment est venu. Le gouverneur de Bourbon, dans son discours d’ouverture au conseil colonial (27 avril 1840), a dit : « L’ordre public, d’accord avec l’humanité, exige que l’on s’occupe d’amé-

  1. Lettres sur l’esclavage.
  2. Considérations sur le système colonial.