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des lois terribles qu’avaient établi leur repos, les Anciens vivant en paix au milieu de leurs esclaves, comme au milieu d’ennemis. Ce n’est assurément là qu’une paix de surface, et ils le sentent comme nous, ces hommes qui livrent pendant deux ans les ateliers aux fureurs d’une cour prévôtale, et se croient obligés d’offrir au dieu de leur sécurité des hécatombes de seize, dix[1] et vingt-trois têtes !

L’effet singulièrement opposé que les derniers bruits de guerre ont produit sur les Antilles françaises et anglaises donne à juger d’une manière très nette des différences de l’état libre à l’état esclave. Chez nous on fit beaucoup de préparatifs, on se mit vigoureusement en défense, et l’on regarda plus d’une fois du côté des cases à nègres en secouant la tête. Chez nos voisins, rien. Et comme nous paraissions choqué de cette tranquillité : « Tout le monde ici, nous fut-il répondu, est intéressé à défendre le pays, nous n’avons point d’esclaves à craindre ; vous aurez bien assez à faire, vous, avec les vôtres. »

Loin de nous la pensée mauvaise de vouloir acquérir l’abolition par la peur, de semer dans les esprits des craintes mal fondées, mais il n’est que trop vrai, la paix actuelle de nos îles, n’est due qu’à la persuasion où sont les esclaves qu’on s’occupe d’eux et qu’ils seront bientôt libres. Les hommes doués d’une oreille assez fine pour entendre ce qui se dit tout bas dans les cases à nègres, savent qu’il faut prendre garde. Les maîtres eux-mêmes en nous reprochant l’agitation qui existe dans les ateliers, annoncent explicitement un danger. — Que l’on ne nous accuse pas de juger la situation des colonies avec nos instincts d’abolitioniste, nous ne sommes pas les seuls à les croire en péril, ce n’est pas légèrement, sans doute, qu’un membre du conseil colonial de la Martinique, M. A. Fortier, a osé dire : « La société coloniale offre aujour-

  1. Dix nègres furent pendus à la Martinique le 4 décembre 1815, par suite d’un arrêt du conseil supérieur, en date du 30 novembre.