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encore : nouvelle tentative des hommes de couleur et nouvelle répression. Mais qui peut dire que les maîtres et la garnison seront toujours les plus forts ? qui ne se rappelle qu’un parti d’esclaves de l’antiquité tint long-temps contre les Lucullus, les Pompée, et mit le grand empire romain à deux doigts de sa perte ? — En trente ans, quatre, cinq insurrections de nègres ! Si chez nous les vraies émeutes sont si rares, jugez ce qu’il faut d’exaspération à des esclaves pour arriver jusqu’à l’emploi de la force ouverte ! Les assassinats légaux n’empêchent pas le flot de la liberté de se soulever à de longs intervalles, et d’entraîner toujours dans son impitoyable courant quelques-uns de ceux qui sont assez fous pour vouloir faire digue.

Appelons la liberté, la consolante liberté, cherchons par tous les moyens imaginables à l’établir pacifiquement ; elle seule peut délivrer le xixe siècle de ces cruautés, de ces empoisonnemens et de ces massacres juridiques qui le déshonorent.

Les colons se vantent beaucoup de la tranquillité des îles, et la présentent comme un témoignage du bien-être des nègres. On ne peut nier le calme dont ils parlent ici, et notre surprise a été grande, avec les idées que nous apportions, de voir leur parfaite quiétude au milieu de leurs nombreux esclaves. Mais il est permis de penser que les deux mille hommes de troupes réglées, entretenues dans chaque colonie, outre la milice et la gendarmerie, ne sont pas étrangers à ce calme extraordinaire[1] ; la barbarie d’une législation dont les arrêts punissent l’esclave qui lève la main sur son maître, comme le fils qui frappe son père, doit encore être comptée avec l’influence du préjugé, pour justifier les esclaves. C’est aussi sur

  1. « Nous ne comprenons pas la peur que l’on veut bien éprouver pour nous. Que l’on nous donne deux mille hommes de troupes avec une bonne gendarmerie, que l’on n’attaque pas le respect de notre puissance morale, et je maintiens que nous n’avons rien à craindre. »
    (M. Guignod.)