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Pour notre compte, telle est l’ardeur de notre foi, que nous ne nous contenterons jamais d’une réparation à demi.

Il ne s’agit plus de savoir si les nègres sont mûrs pour la liberté, ni de discuter métaphysiquement s’ils sont « naturellement subordonnés à la tutelle du blanc[1], » s’ils sont « propres à jouir de la vie sans appartenir aux blancs ; » il s’agit de leur donner la liberté qu’ils veulent, la liberté qu’il est équitable de leur rendre. Il ne s’agit plus d’examiner s’ils sont dignes des droits politiques, il s’agit de les en investir, parce qu’ils sont capables de s’en emparer eux-mêmes si l’on différait, et cela montre assez qu’ils le méritent. Quoi qu’on ait pu faire pour les abrutir, ils ont crû dans l’esclavage pour l’indépendance, et si on ne les émancipait pas de bonne grâce, ils ne tarderaient guère à s’émanciper tout seuls.

Les esclaves comprennent. Et les colons le savent bien, l’esclavage est un volcan prêt à ébranler leur société, comme ces feux souterrains qui font encore trembler leur terre. Oui, vous le savez, vous vivez dans l’inquiétude tout en ne voulant point avouer vos craintes, le mot liberté vous fait frémir, la terreur est à l’ordre du jour sur l’émancipation ; vous mettez à l’index celui qui prononce une parole libérale : aussi, je vous l’ai dit, plus d’un parmi vous cachent le fond de leur pensée, plus d’un savent qu’il faut en finir, et ne confessent point leur vérité. Vous vous trompez les uns les autres… vous êtes en péril.

C’est qu’on aura beau reconnaître la douceur du régime actuel des esclaves, il y a dans la servitude le fouet, la contrainte, l’abstraction de tous sentimens intellectuels, l’impuissance de tout développement moral. Sous son masque, sans grimace douloureuse, on voit constamment percer l’invincible désir de l’indépendance, et de temps à autres se manifeste le brutal réveil de l’homme, réveil d’esclave avec l’empoisonnement dans l’ombre et la révolte au grand jour, la révolte sans

  1. M. Virey, Diction. des sciences médicales, article Homme.