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mois de janvier on ne sait à quand pour recueillir des documens ; ils s’écrient satisfaits : « Encore du temps de gagné. » Aveugles que vous êtes, c’est du temps perdu. Ne voyez-vous pas qu’au milieu de ces transes le mouvement a cessé. Tout le monde hésite, personne n’ose plus rien entreprendre, rien préparer, rien réparer même. Les bâtimens tombent en ruine, et la valeur des propriétés s’avilit sous l’incessante menace d’un changement qui effraye la majorité. L’état commercial subit ces tristes influences, le crédit s’altère chaque jour davantage, les embarras passés tournent à l’indigence ; les nègres s’impatientent, les irritations croissent, les passions s’enveniment, les évasions augmentent, les procès scandaleux se multiplient, enfin la possibilité d’une guerre avec les Anglais complète l’infortune de cette société malheureuse, placée entre les misères du présent ou les inquiétudes de l’avenir, et livrée à l’agitation maladive qu’éprouvent les populations dans l’attente d’un grand événement.

Nous espérons, pour le bonheur des colonies, que la session qui vient de s’ouvrir amènera quelque chose de définitif. La question de la liberté des noirs demande à être promptement résolue ; la régénération des îles en dépend. L’incertitude pour les masses comme pour les individus, est pire que la mort. Les colons sensés désirent que l’on en finisse. Si l’on ne fait rien, ils l’ont dit eux-mêmes, nous avons rapporté leurs paroles, tout est à craindre des ateliers en fermentation, si l’on s’arrête à quelqu’un des projets de juste-milieu, le malaise qui ronge les colonies ne cessera pas de les troubler ; on reviendra immédiatement aux interminables discussions d’aujourd’hui, et l’avenir sera de nouveau mis en jeu. Les vrais abolitionistes, ceux qui veulent changer autre chose que des mots, ceux qui ne se paient pas de phrases dogmatiques, ne croiraient pas le but atteint, et en continueraient la poursuite avec l’animation que donne un premier succès. Entre la France et l’esclavage il y a un combat à outrance : la France ne quittera les armes que le jour les noirs seront véritablement libres.