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Et ici encore, que l’on me permette deux mots d’explication personnelle. Cette opinion que je manifeste, je ne l’ai pas prise parce qu’elle est la plus facile à prendre et dispense des peines d’une élaboration. Je ne m’enferme pas dans les hauteurs commodes de l’abstraction, je ne crois ni au droit divin, ni à toutes ces lois primordiales que chacun tourne à sa fantaisie, et dans lesquelles nos adversaires aux théories providentielles ont trouvé la servitude noire et blanche écrite tout au long. Ce n’est point d’un zèle fanatique que ma philantropie reçoit ses inspirations, ce n’est point d’enthousiasme que je demande l’abolition spontanée, ce n’est point pour obéir au principe sacré, qu’ému d’un désir passionné, je veux inflexiblement soumettre à l’heure même la société à ce principe, quelque déchirement qu’elle en puisse éprouver. De longues réflexions m’ont amené là, je ne suis pas arrivé du premier coup à l’émancipation immédiate et absolue, Dans la brochure de 1833, dont j’ai cité des extraits, je proposais un demi-siècle d’apprentissage. — Si je demande aujourd’hui la libération spontanée, c’est qu’en étudiant les choses, j’ai acquis la conviction que le problème de la conciliation du travail et de la liberté se peut résoudre avec moins de danger par cette voie que par toute autre.

L’élargissement en masse de tous les pauvres captifs noirs ne nous ravit pas seulement par son caractère d’immense charité, il se présente à nos yeux avec tous les avantages politiques et matériels d’une entreprise pratique. Il coupe court aux tâtonnemens douloureux, aux vains projets, à ce qu’il y a de faux, de malaisé, de précaire dans les situations mixtes. Il prévient ces inimitiés de l’apprentissage que l’épreuve faite aux West-Indies a dévoilées, et dont les suites troublent encore dans les îles de la Grande Bretagne les premiers jours de la liberté réelle. Fait accompli, irrévocable, absolu, sans retour, il ne laisse plus de prise aux résistances, chacun est intéressé à le voir triompher, à lui faire porter les meilleurs fruits, à en extraire toutes les vertus, à étouffer les répugnances qui pourraient ralentir sa marche ascensionnelle.