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sus de ses forces, il a donc le sentiment de l’avenir et les facultés d’économie qu’on lui refuse ? Bien mieux, il préfère le samedi à l’ordinaire ; l’initiative ne l’effraie donc pas ?

La situation morale des noirs, telle qu’elle est, nous paraît suffisamment avancée pour qu’il n’y ait aucun danger à les nommer citoyens. Ils se feront à leurs droits en les pratiquant, à leurs devoirs en les remplissant, de même que les bourgeois français deviennent bons jurés en exerçant les hautes fonctions du jury. Leur aptitude à comprendre l’indépendance ne peut se développer que dans l’indépendance.

De l’aveu de la commission de la Guadeloupe, « les déclamations des abolitionistes ont donné aux nègres des espérances dont il faut tenir compte[1]. » Il n’y a pas d’autre manière de régler ce compte que de leur donner la liberté ; et croyez-nous, ils y sont aussi préparés qu’on le puisse être, car ils la désirent, ils l’attendent ; car ils la veulent. Nous ne connaissons pas de meilleure préparation que celle-là, ni rien qui aille mieux contre les allégations de leurs ennemis. Quant au reste, ne craignez rien, les puissans moyens de la civilisation, les cinq Codes et quelques mesures spéciales fourniront les forces nécessaires pour maintenir l’ordre et conduire les affranchis, peu à peu, sans danger pour eux-mêmes ni pour personne, à la connaissance des obligations et à la jouissance des prérogatives de l’homme.

Abandonner aujourd’hui au terrible courant de notre monde anarchique des gens esclaves hier, nous ne disons pas que ce soit un moyen sans inconvéniens de les rendre à l’indépendance, nous disons comme publiciste et comme philantrope, que c’est de tous les moyens celui qui a le moins d’inconvéniens. Qu’il faille accomplir une telle œuvre avec calme, avec modération ; en détruisant le désordre servile qu’il faille assurer l’ordre libre et se garder d’imprudence, nous en sommes d’avis, mais que l’on puisse mettre quelque chose entre la servitude et la liberté, nous ne le croyons plus.

  1. Rapport de M. Chazelles.