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accorder. Voyez en effet : ils prétendent d’un côté qu’il est utile de préparer leurs esclaves comme l’Angleterre avait préparé les siens[1], et de l’autre ils s’efforcent de démontrer que les noirs anglais ne font rien du tout. En bonne logique, quelle conclusion tirer de là, sinon que l’institution est sans bénéfice ou que la demander est un échappatoire. Nous soutiendrons toujours, nous, que l’affranchissement en masse peut seul permettre d’enseigner à un esclave les devoirs d’un citoyen. C’est là une science pour laquelle on ne saurait faire d’étude au fond de l’obscurité nécessaire des cases à nègres. Apprendre la liberté à un être qui reste hors de la liberté ! autant vaudrait tâcher d’apprendre la natation à un enfant sans le mettre dans l’eau. Vouloir créer les vertus de l’homme libre dans l’homme esclave, c’est rechercher l’effet sans la cause.

Que parlez-vous du danger qu’il y aurait pour eux-mêmes à les livrer à leurs propres instincts ? Prétendez-vous donc absolument les comparer à ces animaux domestiques qui ne savent plus trouver leur pâture, lorsqu’un accident les rend aux bois. Est-ce que les nègres anglais que leurs maîtres présentaient aussi comme hors d’état de gravir la rude échelle de la civilisation, ne vivent pas très bien ? Le Code noir comptait si peu sur l’esclave, qu’il n’avait pas voulu s’en rapporter à lui du soin de sa subsistance, il défendait à l’habitant de se décharger de l’obligation d’y pourvoir. Aujourd’hui néanmoins, presque partout dans les colonies françaises, ce sont les nègres qui se nourrissent eux-mêmes avec le samedi. Les maîtres ont implicitement confessé que la très grande majorité de leurs serfs ne sont pas aussi dénués de l’esprit de prévoyance qu’on le dit maintenant. Puisque le nègre sait se nourrir dans l’esclavage, la responsabilité de la vie n’est donc pas au-des-

  1. Dans notre ouvrage sur les colonies anglaises, on verra que les nègres anglais n’étaient pas plus instruits que les nôtres, et que les planteurs anglais disaient d’eux identiquement ce que les planteurs français disent encore des leurs.