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et que cherchassiez-vous mille ans à construire un chemin pour y arriver par terre, vous ne le trouverez pas.

Certainement l’émancipation ébranlera les colonies, mais il faut que l’émancipation soit. La révolte sanglante les ébranlerait bien davantage. Plus il est difficile de changer les bases d’une société, plus il y a de raisons pour en essayer l’entreprise législativement, et ne pas laisser tout faire à la violence.

En définitive, abolir l’esclavage, c’est opérer une révolution, sans aucun doute. Dites-nous seulement : en est-il une dans les annales du monde qui se soit accomplie aussi pacifiquement que celle dont les colonies anglaises viennent d’être témoins ? La nôtre aura ses difficultés comme la leur ; mais en présence de sa nécessité, c’est un fait dont chacun se peut réjouir d’avance jusqu’au fond de l’âme, qu’elle n’aura pas de dangers.

La raison et l’humanité voulant l’abolition, il n’est pas sensé d’en grossir les embarras, car on doit les subir, et ils s’agrandiront à mesure que l’on reculera ; il serait sage au contraire de calculer les moyens propres à les paralyser et à diriger des forces qui deviendront d’autant plus terribles qu’on les aura plus comprimées. — Il se condamne à l’immobilité, celui qui cherche les moyens d’opérer la réforme sans aucune secousse. Ce n’est pas la faute des esclaves si on les a changés en brutes, et le temps ne saurait aplanir des difficultés qui tiennent à la nature des choses. Fût-il possible d’initier des ilotes, on n’obtiendrait d’autre résultat que d’en faire des hommes raisonneurs, inquiets, mal disposés à l’engourdissement obligé de leur condition. L’expérience de l’apprentissage chez les Anglais a prouvé qu’aucune mesure d’amélioration n’était applicable à des esclaves ou demi-esclaves.

Pour tout dire, ces préparations que l’on sollicite et dont nous avons démontré plus haut l’impossibilité radicale, ne sont que des pièges tendus à la crédulité des âmes candides. Sauf d’honorables exceptions, nous estimons qu’il n’y a pas une entière bonne foi de la part des créoles à demander qu’on mette les nègres en état de jouir de la liberté avant de la leur