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quelque lointain avenir qu’on veuille la rejeter. Ne craignons pas de nous répéter pour faire passer notre idée dans l’esprit du lecteur : tout mode d’affranchissement partiel nous semble mauvais essentiellement, surtout parce qu’il n’atteint pas le but cherché, car, pour prolongés que soient les atermoiemens, ils doivent avoir une fin, et à l’époque de cette fin on devra toujours subir le choc que l’on veut en vain amortir.

C’est la préoccupation l’on est de vouloir conjurer les premiers momens de perturbation qui suggère des termes dilatoires ; il serait plus raisonnable de s’avouer nettement à soi et aux autres qu’il n’y a pas de transition praticable, et qu’on se doit résigner à l’ébranlement qui suit les grandes secousses dans les choses politiques comme dans les choses naturelles.

Il est puéril de s’obstiner à méconnaître cette nécessité fatale, il serait indigne d’un écrivain de bonne foi de la dissimuler, et nous y répugnons d’autant plus, que ne fut-elle point inévitable, nous nous croirions en droit d’examiner si les maux qu’entraînerait une réforme forcée seraient pires que la prolongation, même déterminée, du crime qu’elle effacerait.

Cette perturbation, pourquoi ne pas l’envisager face à face afin d’en prévenir les plus dangereux effets ? Quelque soin qu’on y donne, quelque retardement qu’on y apporte, à quelqu’époque et à quelque génération que l’on s’adresse, le jour où l’on fera passer des hommes de la non liberté à la liberté, des désordres prendront place. Lorsque vos fils sortent du collége, vous ne pouvez les retenir, ils vous échappent. Pendant un an, deux, trois ans, les voilà qui fuient les livres,courent la ville, inventent toutes sortes d’étranges plaisirs, s’abandonnent à la fougue de leurs passions ; et quand ces émancipés qui viennent d’achever leur philosophie, qui ont lu Socrate dans Platon et Xénophon, qui savent Homère par cœur, se livrent ainsi à la première furie de l’affranchissement, vous voulez que des esclaves n’aient pas aussi leurs jours d’ivresse ! Folie et injustice. Nous vous disons, nous, que pour aller du Havre à la Martinique il faut traverser les mers,