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entière à lui, il y règne une brûlante fermentation, les témoins à décharge exaltent celui à qui la loi demande raison de sa conduite, et l’un d’eux (pour que l’on puisse juger de tout par un mot), interrogé sur la nature du cachot, répond qu’il y est entré et qu’on y est mieux que dans l’enceinte où il se trouve avec plus de trois cents personnes. Enfin, il est avéré que M. Douillard Mahaudière a tenu une femme enfermée pendant vingt-deux mois, de même qu’il avait été acquis aux débats dans l’affaire Amé Noël, que l’esclave mort était depuis cinq jours les pieds enfermés à la barre et les bras liés derrière le dos, et cependant M. Douillard Mahaudière est acquitté comme M. Amé Noël l’avait été ? l’opinion publique le voulait ; le pays les avait absous avant que le tribunal prononçât. Qu’espérer d’une institution sociale dans laquelle de pareils faits, en se représentant, trouvent presque toujours une nouvelle absolution ?

Sans doute en France, nous avons par exception les époux Granger, mais l’opinion publique les réprouve avec énergie, elle veut leur condamnation et les juges qui la veulent aussi, la prononcent. Aux colonies, lorsque le verdict est rendu, à peine si quelques hommes sensés courbent le front et lisent la sentence de mort de leur société dans l’absolution du coupable ; l’assistance joyeuse au contraire entoure M. Douillard, le félicite, lui presse les mains. Ce n’est point un ami égaré qui échappe à la loi, c’est presqu’un triomphateur ; au moment où nous passons auprès de la sellette qu’il vient de quitter, nous entendons un planteur dire avec énergie : « S’ils avaient condamné Mahaudière, il aurait fallu nous mettre tous là, car il n’est pas un colon qui ne fasse ce qu’il a fait. » Et le lendemain plusieurs habitans, y compris l’accusé avec le général Faujas Sainte-Fond (depuis nommé président du conseil), à leur tête, s’en allaient complimenter, remercier l’avocat et lui dire : « C’est la cause du pays que vous avez défendu. »

En montrant cette ferveur de sympathie pour un vrai coupable, les créoles ont donné la mesure de leur esprit public, il se sont accusés tous ensemble au tribunal de la conscience