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avons entendu un européen, un magistrat très libéral, questionné sur ce qu’était devenu son cheval, répondre tranquillement : « Je l’ai troqué contre un noir et 200 francs. »

Jamais les hommes qui pensent ainsi ne consentiront, volontairement du moins, à traiter en élèves et en pupilles de leur famille, des hommes aussi dégradés à leurs yeux. Pour changer quelque chose à ces idées, il faut faire table rase et renverser le pacte social actuel afin d’en construire un autre entièrement nouveau sur ses ruines. Les profondes préventions des créoles leur enlèvent toute intelligence du bien possible, on n’obtiendra les suffrages de la majorité, on ne pénètrera les esprits de l’utilité de la réforme qu’en les entraînant. Elle sera nulle, si elle n’est entière. Les têtes sont tellement montées, les difficultés si grandes, que moins on compliquera les moyens, plus vite et plus sûrement on atteindra le but.

Arrivé où nous en sommes, le lecteur peut savoir si nous éprouvons le moindre sentiment de haine contre les colons, nous pouvons donc en toute sûreté d’être jugé sans passion, dire qu’en l’état actuel de leurs mœurs ils sont incapables de préparer les nègres à la liberté. Nous avons assisté au procès Mahaudière, et l’attitude de la population blanche durant le cours de ces longs et tristes débats, nous a consterné. Ce qui se passa alors, on ne le voudra pas croire en Europe. Lorsque les propriétaires du quartier de M. Douillard apprennent qu’il est arrêté, tout stupéfaits et indignés, ils signent ensemble une pétition au gouverneur pour demander sa relaxation. À la cour d’assises, l’accusé est entouré d’habitans accourus de toutes parts qui lui prodiguent mille témoignages d’amitié. Ils ne l’excusent pas, ils ne disent pas que c’est un maître qui s’est trompé sur ses droits, un homme doux, estimable, perverti une fois par la maladie et la peur. Non, ils le soutiennent, ils l’approuvent, ils transforment son crime en affaire politique coloniale ; ils n’y ont vu que l’exercice légitime de son autorité légale et ils revendiquent avec affectation la solidarité du forfait. Le prétoire pendant cinq jours est encombré de leur foule toute