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M. Lignières, dont l’avis est des plus précieux, parce que c’est à la fois un créole éclairé, un propriétaire d’esclaves et un abolitioniste dévoué, nous a dit : « Je ne conclus pas à l’abolition immédiate de l’esclavage, mais bien à une abolition qui serait prononcée dans un certain temps, que je réduirais à cinq ans pour en finir le plus tôt possible. Vous devez bien penser que je ne demande pas ce délai pour préparer les esclaves à la liberté, je ne puis pas croire que des esclaves nègres, placés par les préjugés un peu au-dessus du singe, méprisés à cause de l’infériorité de leur race, si soigneusement tenus dans un état de dégradation, d’abrutissement, puissent s’améliorer tant que durera l’esclavage ; il est clair pour moi qui suis témoin des progrès rapides qu’ont fait les gens de couleur depuis qu’ils sont devenus citoyens, que le noir ne deviendra meilleur que dans la liberté. Mais ce délai, je voudrais bien qu’on nous l’accordât, je ne dirai pas pour améliorer les blancs, car je les calomnierais, ils sont meilleurs, bien meilleurs qu’on ne croit ; ils sont dans l’erreur, voilà tout. Je voudrais donc ce délai pour les préparer à la transformation sociale que l’intérêt de mon pays réclame si impérieusement… Je tremble quand je songe aux malheurs qui fondraient sur mon pays, si la France était obligée de briser l’obstacle que nous opposerions à une mesure que son honneur commande, si elle était obligée, pour parler d’une manière plus claire, de prendre cette mesure sans nous, malgré nous. Jugez de quels soucis je suis tourmenté quand je vous dirai que plus je réfléchis sur le changement qui se prépare, plus je me fortifie dans l’opinion que si les colons le voulaient, le travail sans l’esclavage serait non seulement possible, mais facile. »

Persuadé, comme M. Lignières, que les colons sont dans l’erreur, nous différons avec lui sur ce point : qu’ils puissent être modifiés par un état transitoire. Cinq ans ne sont pas assez pour effectuer un changement utile dans les habitudes et la nature de toute une population ; demander plus de cinq ans serait impossible, l’esprit des esclaves est en trop grande fermenta-