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mêmes, et ne cesseront de croire que ce qu’il y a de mieux à faire pour eux, c’est d’en tirer tout le parti possible jusqu’au dernier moment, de jouir de leur reste, selon le dicton populaire. — Il ne faut en appeler aux instincts que pour les animaux, dont les mouvemens naturels ne sont point troublés par les erreurs de la raison, et qui sont préservés de la plaie du sophisme. L’instinct de conservation, grâce à la perfection particulière d’entendement dont l’homme a été doué, lui fait quelquefois avaler, en vertu de son raisonnement, du poison qui le tue, en place du médicament qu’il croyait propre à le sauver. Une chose impossible à nier, c’est que l’on avait laissé à l’instinct de conservation des créoles anglais, sept ans pour assurer le succès d’une opération sublime d’où dépendait l’avenir de leurs familles, et qu’il fallut en venir bien vite à un affranchissement général, parce que l’instinct de conservation allait tout perdre. Si c’est la faute des propriétaires, on peut être sûr, par voie de psychologie comparée, que les nôtres n’échapperont pas aux mêmes erreurs ; si c’est la faute des nègres, on voit, ou que le moyen de transformation est mauvais, ou qu’il est raisonnable de renoncer à les transformer. Renoncer est la conclusion des créoles, ce n’est pas la nôtre.

M. Bovis, qui a l’intelligence des nécessités de l’époque, croit son projet bon, parce qu’à son avis les nègres sont perfectibles, et qu’il voudra les perfectionner ; mais la majorité ne consentirait jamais à le suivre dans cette route. La disposition présente des créoles dit assez quels seraient leurs sentimens futurs. Sous de certains rapports, les maîtres ne sont pas plus civilisés que leurs esclaves, j’entends qu’il y a des choses de la civilisation qu’ils ne comprennent pas plus que les nègres n’en comprennent d’autres. Pour qu’ils fussent capables d’accomplir le noble ouvrage auquel on les convie, pour qu’ils fussent dignes qu’on leur accordât cette belle tâche à exécuter, il les faudrait d’abord modifier eux-mêmes ; pour qu’ils fussent propres à entreprendre l’éducation des noirs, il faudrait auparavant faire la leur.