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que vous l’entendez ainsi ; mais la somme d’autorité exercée n’est point modifiée et l’esclave auquel pendant cette scène d’escamotage vous avez accordé, pour le distraire, le noble titre d’ouvrier, laisse toujours son libre arbitre en des mains étrangères et ne récupère aucun de ses droits d’homme. Or, rien de bon ne peut se faire sans vous, comme vous le dites ; c’est vrai, mais rien de bon non plus ne peut se faire sans le nègre. Pensez-vous qu’il ratifie un traité ou après lui avoir dit qu’il est libre, il retrouvera au fond de l’engagement le travail forcé, c’est-à-dire la servitude ? Pour moi, j’en doute. Le nègre ne tardera pas à comprendre qu’il a été dupe, il rejettera le marché, réagira d’autant plus vivement qu’il avait cru toucher au but ; vous aurez à lutter contre son mauvais vouloir, sa force d’inertie. Ne pouvant plus appliquer directement la punition, il vous faudra pour chaque faute avoir recours au magistrat, les difficultés deviendront de jour en jour plus inextricables, et vous ne les pourrez vaincre que par une compression qui ruinerait les espérances d’un avenir pacifique. Un organe de l’opinion du statu quo l’a dit à sa manière, « substituer à l’esclavage un travail coërcitif quelconque, est une absurdité grosse comme une montagne. Après l’émancipation il n’y a qu’une garantie, qu’un stimulant de travail possibles, c’est le salaire : seul il peut être légalement employé. La contrainte, sous quelque forme qu’elle se présente, est l’esclavage, et l’esclavage actuel est le mode de coërcition le plus convenable, le seul logiquement admissible, Nous le disons souvent : Malheur aux colons, s’ils se laissent prendre aux synonymes. »

Les esclaves ne s’y laisseront pas prendre non plus. C’est M. Lepelletier Duclary lui-même qui nous l’apprend : « L’opinion bien arrêtée des nègres est celle-ci : Point d’état intermédiaire possible entre l’esclavage et la liberté. »

M. Chazelles, dans l’habile rapport dont nous avons déjà parlé, fait aussi indirectement une vive critique du projet de l’engagement au sol, lorsqu’il dit : « Il s’agirait de créer pour l’esclave que la loi aurait affranchi avec solennité, une situation